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Immédiatement après il demandait pour ses troupes le droit de passage sur le territoire saxon et, une fois qu’il y avait pénétré, occupait le pays en maître, levait les contributions, démantelait les forteresses, s’emparait des deniers renfermés dans les caisses publiques et mettait aux arrêts les officiers ou les fonctionnaires résistans. Aux réclamations du roi de Pologne il répondait qu’il avait des précautions à prendre contre de noirs complots, et il n’exigeait rien de moins que l’incorporation des troupes saxonnes dans sa propre armée en les soumettant à l’obligation de lui prêter à lui-même serment de fidélité. « Grand Dieu ! s’écria en bondissant l’envoyé saxon, pareille chose est sans exemple dans le monde. — Croyez-vous, monsieur ? répliqua le roi. Je pense qu’il y en a, et, quand il n’y en aurait pas, je ne sais si vous savez que je me pique d’être original. Faites bien mes complimens au roi de Pologne, et dites-lui que je suis bien fâché de ne pouvoir me désister de mes prétentions. C’est mon dernier mot, et il m’enverrait un archange que je n’y pourrais rien changer. »

Le comte de Broglie eut alors une inspiration heureuse et courageuse : il décida le roi de Pologne à s’enfermer avec la petite armée saxonne dans la forteresse inexpugnable de Pirna, menaçant de couper la retraite aux Prussiens dans le cas où ceux-ci s’aventureraient sur le territoire autrichien et y subiraient un échec, donnant le temps à l’Autriche de se reconnaître et de préparer contre l’invasion prussienne tous ses moyens de défense. Cette résolution hardie ne sauva pas les Saxons, qui furent obligés un peu plus tard de capituler, mais elle sauva la Bohême en faisant perdre à Frédéric les trois semaines d’automne sur lesquelles il avait compté pour détruire l’armée du maréchal Braun. Le roi de Prusse savait sans doute à qui il devait cette déconvenue lorsqu’il interdit au comte de Broglie toute communication avec le roi de Pologne enfermé dans Pirna, et lui intima l’ordre de sortir de Dresde, sans que l’ambassadeur de France voulût y consentir avant d’avoir reçu de son gouvernement un congé régulier.

Dans une autre circonstance, le comte de Broglie se mesura plus directement encore avec Frédéric II lorsque arrivant à Vienne, en 1757, au lendemain d’un grand désastre de l’armée autrichienne, il trouva tous les courages abattus, excepté celui de l’impératrice Marie-Thérèse, et fut prié par elle de diriger les mouvemens des troupes impériales. On lui attribua même une part dans la sanglante bataille de Kollin, qui arrêta pour un temps la fortune du roi de Prusse. Mais ni la grandeur du service rendu ni la vivacité de la reconnaissance qu’on lui témoignait ne pouvaient servir la cause à laquelle le dépositaire du secret du roi se croyait tenu de se dévouer. A travers les changemens que produisait dans l’ensemble