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mouvement général et simultané des armées alliées pour franchir le Rhin sur plusieurs points de son cours, depuis Vieux-Brisach jusqu’à Cologne. Voici quel était le motif secret de ce plan :

Laharpe, Jomini et quelques autres révolutionnaires suisses avaient vivement insisté auprès du tzar sur ce qu’ils appelaient le respect de la neutralité helvétique. Cette démarche leur avait été inspirée par plusieurs considérations. Laharpe et les Vaudois craignaient le retour de l’ancien ordre de choses, qui aurait pu coûter aux nouveaux cantons leur existence politique. En sauvant cette existence, ils espéraient arriver plus tard à faire triompher dans les anciens cantons le système démocratique pur. Enfin, Laharpe et ses amis voulaient que la Suisse fût un asile toujours ouvert pour les révolutionnaires de la France et de tous les autres pays occupés par les alliés ou qui le seraient dans la suite. L’empereur de Russie avait pris des engagemens envers eux ; mais ils firent encore jouer d’autres ressorts pour être sûrs du succès. Ils provoquèrent l’envoi à Francfort d’une députation suisse pour obtenir la confirmation de la neutralité. Le tzar ne voulut pas s’engager positivement, comme il l’avait fait vis-à-vis de certains individus qui possédaient sa confiance ; toutefois il congédia la députation en lui faisant espérer que la neutralité de la Suisse ne recevrait aucune atteinte.

Les chefs des différentes armées perdirent plusieurs jours en délibérations stériles. Chacun d’eux défendait son plan d’opération. La raison parlait pour celui du feld-maréchal prince de Schwarzenberg. Ce plan était d’autant plus logique, qu’après avoir sondé le terrain en Suisse, j’étais absolument sûr que la partie saine du peuple helvétique ferait bon accueil aux soldats autrichiens, les seuls qui pussent mettre le pied sur le territoire suisse, et qu’elle les saluerait comme des libérateurs.

Lorsque le tzar eut perdu toute espérance de convertir à son plan les chefs des armées autrichienne et prussienne, il m’envoya un soir, à dix heures, son chef d’état-major, le prince Déméter Wolkonski, avec l’invitation de me rendre immédiatement auprès de lui. Je fus introduit dans le cabinet de sa majesté impériale, où je trouvai réunis les chefs des trois armées. L’empereur prit aussitôt la parole et me dit que le conseil de guerre, après de vains efforts pour arriver à s’entendre sur le plan à suivre dans les opérations, avait fini par décider de remettre à un tiers le soin de trancher la question, et que son choix était tombé sur moi. Bien que n’hésitant pas sur ce que j’avais à faire, je demandai que l’on me donnât connaissance de la discussion qui avait eu lieu. L’empereur en personne se chargea de m’exposer les différens plans proposés.

Je commençai par faire ressortir l’analogie des idées de sa majesté impériale avec celles du général en chef autrichien aussi