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France, continua-t-il ; et nos armées sont nombreuses ; elles intimideront les agitateurs. Les députés de la nation n’auront à se prononcer que sur deux questions : la forme du gouvernement et le choix du souverain. La république a vécu. Elle est tombée par ses propres excès. Le prince que la nation se donnera elle-même est celui qui aura le moins de difficultés pour établir son autorité. Celle de Napoléon n’existe plus, et personne ne voudra plus en entendre parler. Un point, essentiel sera de bien diriger l’assemblée. J’ai sous la main l’homme qu’il faut., l’homme le plus capable de conduire une affaire qui serait peut-être au-dessus des forces d’un novice. Nous chargerons Laharpe de cette tâche délicate. » Je crus le moment venu d’entrer au cœur de la question.

« Ce plan, répliquai-je, ne sera jamais accepté par l’empereur mon maître, et si par hasard sa majesté faiblissait dans sa résistance, je mettrais immédiatement, ma démission à ses pieds. L’exécution de ce plan préparerait à la France et à l’Europe un long avenir de confusion et de larmes. Si M. de Laharpe croit pouvoir garantir le succès, il est dans l’erreur, et je ne parle en ce moment que des inconvéniens matériels : en effet, que deviendra l’Europe par suite de l’invocation du principe sur lequel repose cette idée ? La confiance que votre majesté vient de me témoigner en me révélant ses vues sur la plus grande question du moment, continuai-je, exige que je vous réponde, avec une entière franchise. Ce que je vais exprimer devant vous, sire, est la pensée même de l’empereur François. La puissance de Napoléon est brisée ; elle ne se relèvera plus. C’est là le sort des puissances factices quand vient l’heure d’une crise. Le jour de la chute de l’empire, il n’y aura de possible que le retour des Bourbons, venant reprendre possession de leur droit imprescriptible. Ils reviendront par la force des choses et conformément au vœu de la nation, qui ne saurait être douteux, selon moi. Jamais l’empereur François ne soutiendra un autre gouvernement que le leur. »

Le tzar me congédia en me priant de rendre compte à mon maître de notre entretien. Il était minuit. Je trouvai chez moi le comte de Nesselrode et le général Pozzo di Borgo. Ils savaient que j’avais passé la soirée chez l’empereur Alexandre. Je leur rapportai confidentiellement toute notre conversation. Mon récit les émut au plus haut point ; ils me supplièrent de tenir bon contre des idées qu’ils jugeaient absolument comme moi, tant sous le rapport de leur valeur absolue qu’au point de vue de la source d’où elles devaient nécessairement provenir.

Je fus autorisé par l’empereur François à aller jusqu’à la menace d’une retraite immédiate de l’armée autrichienne.

Le lendemain soir, j’allai revoir l’empereur de Russie. J’avais