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de la politique européenne l’alliance inattendue de la France et de l’Autriche, le comte poursuivait, avec la persistance d’une idée fixe, un but déterminé, le salut de la Pologne. Il ne recevait sur ce point que des instructions très vagues ; mais la connaissance qu’il avait de pays et les soupçons que lui inspirait de longue date l’ambition de la Russie et de l’Autriche lui faisaient comprendre mieux qu’à personne l’étendue du péril qui menaçait les Polonais et la nécessité pour la France de ne pas laisser sacrifier d’anciens alliés. Malheureusement l’intérêt de l’Autriche ne s’accordait point avec le nôtre ; nous n’aurions pu l’empêcher de souhaiter le partage de la Pologne et de convoiter une part de ses dépouilles qu’en stipulant, comme prix de notre alliance, le maintien de la nationalité polonaise. Nous ne l’avions pas fait au moment opportun, malgré l’avis du comte de Broglie, et le roi était trop engoué de sa nouvelle alliance pour exiger tardivement des garanties qu’on n’aurait pu lui refuser quelques mois plus tôt.

M. de Metternich disait volontiers : « L’union de la France et de l’Angleterre est infiniment utile, comme celle de l’homme et du cheval ; mais il faut être l’homme, et non le cheval. » Ses prédécesseurs en négociant avec nous avaient pris le rôle de l’homme. Nous étions liés, et les Autrichiens ne l’étaient pas. De là vinrent en partie les malheurs qui fondirent sur nous, pendant la guerre de sept ans. Conclue avec précipitation et sans aucune prévoyance, l’alliance autrichienne était destinée à devenir chez nous si impopulaire qu’elle fit rejaillir une part de son impopularité jusque sur la tête de Marie-Antoinette. Mais au début on n’en parlait qu’avec enthousiasme ; la moindre réserve ressemblait à un acte d’opposition. A Vienne comme à Paris, le comte de Broglie, malgré l’éclat de ses services, se rendit suspect pour avoir entrevu et osé dire que cette lune de miel aurait un lendemain.

Peut-être cependant aurait-il été possible au pénétrant diplomate de tenter encore quelque chose pour le salut de la Pologne et de tenir en échec les influences combinées de la Russie et de l’Autriche, si la défaite de Rosbach n’eût ruiné au dehors le crédit de la France. Pour remplacer notre armée vaincue, l’Autriche avait besoin plus que jamais du concours des troupes russes. Celles-ci traversaient le territoire polonais sans se hâter et s’y installaient en conquérantes, sans que le représentant de la France amoindrie pût faire écouter ses réclamations, La Pologne elle-même travaillait à sa propre ruine. Le roi, son premier ministre, les Czartoryski, le jeune Poniatowski, en se faisant les complaisans ou les complices de, la politique russe, préparaient l’asservissement de leur patrie, les uns sans le vouloir, les autres sciemment et par corruption. La cour n’accordait de faveurs et de dignités lucratives qu’aux