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de l’atroce intolérant et du vrai juge, l’apôtre de la tolérance. Quelle occasion à de beaux discours !

On n’attend pas de nous que nous poursuivions ce genre d’analyse. Il nous a suffi de donner un exemple de ces conceptions hâtives, qui n’ont d’intérêt que comme des essais à l’appui de la théorie nouvelle et dès lors comme des condamnations du genre. Les Pères malheureux, petite tragédie en prose et en un acte, ne sont qu’une fade imitation de l’Éraste de Gessner. Il est étonnant combien Diderot, sous l’influence de la sensibilité et de la vertu de théâtre, tourne facilement au Berquin. Les personnages sont un père, une mère, deux enfans (désignés pendant toute la pièce sous ces noms : le plus jeune et l’aîné), un vieillard (celui-ci par privilège a un nom propre : il s’appelle Simon), et un cavalier d’un certain âge qui est le grand-père inconnu. — Le costume est celui de l’extrême indigence de la campagne, excepté dans le cavalier. Le lieu de la scène est à l’entrée d’une épaisse forêt. Ce doit être l’horreur d’un beau paysage. — Indiquons encore le Plan d’un divertissement domestique, repris dans le Prologue, amené à sa dernière forme dans cette espèce de proverbe assez agréable, à la façon de Carmontelle ou de Théodore Leclercq, intitulé : Est-il bon ? Est-il méchant ? et dont la destinée posthume a été bizarre. Publiée en 1834, dans la Revue rétrospective, cette pièce fut remise en lumière, une vingtaine d’années plus tard, par les tentatives réitérées que firent M. Champfleury d’abord, puis M. Baudelaire. pour la faire représenter soit au Théâtre-Français, soit à la Gaîté.

Je doute qu’une suite de scènes qui se déroulent sans autre lien que la fantaisie de l’auteur eût réussi auprès du public parisien de notre temps, étranger aux traits de mœurs très particulières et pour ainsi dire anecdotiques qui faisaient tout l’intérêt de la pièce au temps de Diderot, peint par lui-même sous les traits de M. Hardouin. — Ce M. Hardouin est un être bien étonnant et qui a de singulières façons. Au moment où il annonce à une jolie et honnête solliciteuse qu’il vient d’obtenir une pension pour elle et quand il voit l’émotion la gagner, il se passe une de ces scènes muettes que l’auteur aime à jeter comme un trait de nature à travers le dialogue : « M. Hardouin écarte le mantelet de Mme Bertrand, et la met un peu en désordre. » Ce n’est qu’au bout de quelques instans que Mme Bertrand « s’aperçoit de ce désordre, » et le répare, mais pas avant que Hardouin-Diderot lui ait fait une déclaration bien inattendue dans un pareil lieu et un pareil moment : « Vous n’avez jamais été de votre vie aussi touchante et aussi belle. Ahî.que celui qui vous voit dans ce moment est heureux, j’ai presque dit est à plaindre de vous avoir servie ! » — Et notez bien que tout cela n’a