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disait Diderot, son tablier, et l’on sait s’il y faisait honneur, entassant feuilles sur feuilles pour la Correspondance littéraire, qui ne pouvait souffrir d’interruption, courant au théâtre pour voir la pièce nouvelle et en rendre compte, chez le libraire pour y acheter le livre nouveau, chez les peintres et chez les sculpteurs, pour y voir ce qui s’y prépare, aux salons enfin, qu’il illustre de sa plume qui vaut un pinceau. Tantôt ce sont les Dialogues sur le commerce des blés, que l’abbé Galiani le prie de revoir avant la publication ; puis c’est le linge de son ami d’Holbach qu’il faut blanchir ; œuvre difficile, car le baron n’est guère écrivain, et il veut écrire. Ce sont les lettres aussi, ces lettres auxquelles il consacre les rognures de ses journées si bien remplies et qui sont ou un charme pour lui ou une sorte de devoir de conscience. C’est Mlle Volland à qui il faut tout dire, c’est Mlle Jodin qu’il faut avertir de ce qu’elle ne doit pas faire, c’est Falconet par-ci, c’est l’abbé Lemonnier par-là. Et les princes de l’esprit avec lesquels il faut entretenir de bonnes relations diplomatiques, souvent difficiles, les Rousseau, les d’Alembert, les Voltaire !

Et ce n’est pas tout. Il y avait des suppliques à faire, des mémoires à rédiger, soit à de grands seigneurs, comme le duc de la Vrillière, soit à Mme Necker, pour des misères, imméritées ou non, mais qui, dès qu’elles devenaient des misères, lui semblaient être des droits et auxquelles sa plume se prêtait avec une charité touchante. C’était surtout dans l’ordre des misères littéraires qu’il fallait le voir à l’œuvre, actif, inépuisable en conseils, prodigue de son temps et de ses pages ! Mme de Vandeul nous raconte que tout lui était bon s’il s’agissait d’obliger : épîtres dédicatoires à écrire pour des musiciens, plans de comédies pour celui qui ne savait qu’écrire, esquisses développées de scènes pour celui qui n’avait que le talent des plans, préfaces, discours, selon le besoin de l’auteur qui s’adressait à lui. « Un homme vint un jour le prier de lui écrire un avis au public pour une pommade qui faisait croître les cheveux ; il rit beaucoup, mais il écrivit la notice. » Enfin restait à pourvoir à son petit budget personnel. Il avait abandonné à Mme Diderot ses revenus réguliers, qui suffisaient à peine à l’entretien d’un ménage modeste. Mais « il était très dissipateur, dit sa fille ; il aimait à jouer, jouait mal et perdait toujours ; il aimait à prendre des voitures, les oubliait aux portes, et il fallait payer une journée de fiacre. Les femmes auxquelles il fut attaché lui ont causé des dépenses dont il ne voulait point instruire ma mère. » Il était artiste en outre, amateur passionné de bagues, de pierres gravées, d’estampes, de miniatures. Pour suffire à ses fantaisies, il fallait se procurer de l’argent, et il avait recours à toute sorte de