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dans le camp opposé à la France. » Le 18, il écrivait encore à Stockmar : « La politique française, après avoir été autrichienne jusqu’à l’absurde avant les conférences pour la paix, s’est brusquement jetée dans le sens opposé et favorise aujourd’hui la Russie avec une égale ardeur. Cela tient, dit-on, à ce que l’Autriche a refusé pour elle-même l’annexion des Principautés danubiennes, qui aurait pu être le point de départ d’un remaniement. »

Les tendances nouvelles de la politique française se manifestaient chaque jour par des démarches significatives. Non-seulement la Russie, mais son alliée séculaire, la Prusse, recevait des avances de la cour des Tuileries. Le prince Napoléon allait à Berlin rendre la visite que le prince Frédéric-Guillaume avait faite à l’empereur des Français, tandis qu’on ne se hâtait pas de répondre à une démarche analogue, mais plus ancienne, de l’archiduc Maximilien. Le prince Albert se demandait si le gouvernement français ne voulait pas s’assurer la neutralité de la Prusse en vue d’une guerre contre l’Autriche. Ce qui le préoccupait davantage encore, c’était le double projet d’un voyage du grand-duc Constantin en France et d’une entrevue entre le tzar et l’empereur des Français en Allemagne. Dès le mois d’avril, il avait jugé prudent de mettre la cour des Tuilerie en garde contre les tentations qui pourraient lui venir de Pétersbourg par le canal du grand-duc, et il avait écrit à Napoléon III, du palais de Buckingham, une longue lettre, que nous regrettons de ne pouvoir reproduire en entier, mais dont nous traduisons du moins les principaux passages, car elle montre admirablement l’état d’esprit dans lequel se trouvait le gouvernement anglais et les appréhensions que lui inspirait la pensée d’une alliance entre la France et la Russie.


L’alliance anglo-française est fondée sur un état de civilisation identique ; sur une émulation réciproque dans le développement des arts, des sciences, des lettres, du commerce ; sur le voisinage, qui rend le bon accord si nécessaire ; enfin sur le bien-être et la prospérité des deux pays, dont les intérêts sont si intimement liés.

Quand on se tourne d’un autre côté et qu’on se demande quelles seraient les bases d’une alliance franco-russe, que voit-on au contraire ? Une complète dissemblance de vues, de sentimens et d’idées. Aux yeux de la Russie, la civilisation occidentale, loin de mériter des encouragemens, est une ennemie qu’il faut combattre. Enfin il existe si peu d’intérêts communs entre la France et la Russie que l’une des deux nations pourrait cesser d’exister sans que l’autre se trouvât sérieusement atteinte.

Par conséquent, si malgré toutes ces différences fondamentales, on voit la France rechercher ou seulement envisager comme possible