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et le prince. Il a dans le jugement du prince une confiance sans limites. » Pressée de tous côtés, la reine finit par céder. Elle promit d’aller à Cherbourg au moment où l’empereur s’y rendrait pour l’inauguration du chemin de fer et l’ouverture du grand bassin.

Le 4 août 1858, en exécution de cette promesse, la reine et le prince s’embarquaient à Osborne sur leur yacht Victoria and Albert. En même temps on faisait prendre la mer à l’une de ces belles escadres que l’Angleterre sait montrer, quand elle veut, à ses amis comme à ses ennemis. Six vaisseaux de haut bord la composaient, sans parler d’un certain nombre de bâtimens moins importans. Elle était commandée par l’amiral Lyons, marin consommé et fin diplomate, que nous avions appris à connaître et à estimer pendant la guerre d’Orient. Atteint d’une maladie incurable et n’ayant plus que bien peu de temps à vivre, cet homme énergique n’avait pas voulu manquer cependant au rendez-vous des deux marines qui avaient coopéré à l’œuvre commune dans les eaux du Pirée, du Bosphore et de la Mer-Noire. À ce même rendez-vous accouraient plus de cent cinquante yachts de plaisance, portant les chefs ou les représentans des grandes familles anglaises et les membres les plus importans des principaux clubs de Londres. Le duc de Malakof était monté avec lord Lyons sur le vaisseau-amiral le Royal-Albert, L’empereur, de son côté, s’était fait accompagner à Cherbourg par les généraux Mac-Mahon et Niel. De part et d’autre, on mettait de la coquetterie à rappeler les souvenirs et à réunir les gloires de la guerre de Crimée.

L’escadre anglaise mouilla dans la soirée. La reine et le prince venaient de dîner lorsque l’empereur et l’impératrice montèrent à bord du yacht royal. Il y eut un premier moment d’embarras réciproque. L’impératrice était souffrante et de moins bonne humeur qu’à Osborne ; elle ne cachait pas l’irritation que lui causaient les attaques de la presse anglaise. L’empereur, plus maître de lui, mais cependant visiblement soucieux, demanda au bout de quelques instans si l’on était très animé en Angleterre contre la France et si l’on craignait toujours une invasion. La reine et le prince le rassurèrent en souriant sur ce point, mais sans lui cacher que l’impression produite par les fameuses adresses des colonels était loin d’être complètement effacée.

Le lendemain, à midi, les augustes visiteurs débarquaient au milieu des saluts de la rade et des forts. Reçus par l’empereur et l’impératrice, ils montaient avec eux en voiture et parcouraient les principales rues de la ville au milieu de la haie formée par les troupes de ligne, l’infanterie de marine et les marins, sous les yeux d’une multitude accourue depuis quelques jours de tous les