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brusquement une armée française sur les côtes du comté de Kent ou du Devonshire. Des hommes importans, des membres du parlement partageaient ces inquiétudes et les exprimaient dans un langage dont l’aigreur n’était pas faite pour calmer les passions d’un côté comme de l’autre.

Lord Cowley, qui déplorait cet état des esprits, s’en expliqua franchement avec l’empereur, qui lui répondit en substance : « Je suis plus attaché que jamais à l’alliance anglaise, mais je ne dois pas vous cacher que le langage agressif d’une portion considérable de votre presse rend chaque jour plus difficiles les relations amicales que je m’attache à maintenir entre les deux pays, et finira peut-être par les compromettre d’une manière absolue. Je sais qu’on m’accuse d’avoir une politique tortueuse ; je sais qu’on me reproche de faire des coquetteries, tantôt à l’Autriche, tantôt à la Russie. Rien de plus simple cependant que ma politique. Quand je suis arrivé au pouvoir, j’ai vu que la France désirait la paix. J’ai donc pris la résolution de ne point chercher la guerre et de respecter les traités de 1815 aussi longtemps que la France elle-même serait respectée et conserverait dans les conseils de l’Europe la place à laquelle elle a droit. Mais j’ai également arrêté dans mon esprit que, si jamais je me trouvais contraint à la guerre, je ne la terminerais pas sans avoir donné à l’Europe un équilibre plus stable. Je n’ai pas d’ambition comme le premier empereur, mais, si les autres nations s’agrandissent, il est indispensable que la France s’agrandisse aussi. Eh bien ! quand nous avons commencé la guerre contre la Russie, j’ai pensé qu’il n’y aurait pas de paix satisfaisante sans la reconstitution de la Pologne, et j’ai sondé l’Autriche pour savoir si elle m’assisterait dans cette grande œuvre. Elle s’y est refusée. La paix faite, j’ai tourné mes vues vers l’amélioration du sort de l’Italie, et par conséquent je me suis rapproché de la Russie. Tout le secret de ma politique est là. » Lord Cowley, encouragé par la confiance que lui montrait l’empereur, voulut savoir s’il existait une alliance formelle entre le tzar et lui, en vue des éventualités qui se préparaient dans la péninsule italienne : « La Russie, lui répondit Napoléon III, ne m’a pas précisément promis son appui dans les affaires d’Italie ; elle m’a dit que sa conduite dépendrait des circonstances. » Pendant le séjour de la cour à Compiègne, l’empereur, recevant la visite de lord Palmerston et de lord Clarendon, leur avait fait des confidences non moins significatives.

Malgré ces renseignemens concordans, lord Malmesbury, rassuré par des déclarations officielles sans valeur, ne voulait pas admettre que l’empereur pût songer à la guerre. Il croyait sans doute qu’il s’agissait seulement de réformer les gouvernemens de la Péninsule,