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lorsqu’il voulait l’union douanière : c’est la politique de la France. » Une conversation aussi grave et des déclarations aussi importantes ne pouvaient manquer d’être immédiatement transmises à Londres ; elles le furent tout à la fois par lord Cowley, qui en avait eu connaissance, et par le roi Léopold, qui envoya le rapport confidentiel de son agent au prince Albert. Aussitôt celui-ci prend la plume et adresse le 16 janvier à lord Malmersbury une lettre extrêmement ferme et même un peu passionnée : « L’empereur est né conspirateur et a été élevé en conspirateur. Ce n’est pas à son âge qu’il changera de caractère. Pour ses projets il a cherché et cherche encore un allié. L’alliance anglaise était la seule possible pour lui après son élévation au trône ; mais comme il ne peut la conserver qu’en maintenant le droit public et les traités, il s’en est lassé. Aujourd’hui il se tourne du côté de la Russie. C’est sur elle qu’il compte pour réaliser ses projets. Rien ne l’arrêtera, si ce n’est l’incertitude au sujet de l’Angleterre et la crainte de l’Allemagne. » Dans la même lettre, le prince prenait en plaisanterie le rôle qu’on attribuait au duc de Saxe-Cobourg dans la prétendue coalition : « Je n’ai reçu aucune communication de mon frère dans ces derniers temps, et j’ai tout lieu de le croire complètement absorbé par son nouvel opéra. » Deux jours après, dans une lettre au roi des Belges, il tient le même langage : « Ernest me paraît uniquement occupé de son nouvel opéra ; mais un conspirateur est toujours soupçonneux, et Louis-Napoléon est un conspirateur. Il est fort préoccupé, je le comprends, de l’état de l’Allemagne. La chute du cabinet Manteuffel lui a enlevé, juste au moment décisif, l’appui sur lequel il comptait du côté de Berlin. La politique nationale récemment adoptée par la Prusse est un grand bonheur pour l’Europe’, elle rend possible le rétablissement des bons rapports entre l’Allemagne et l’Angleterre, qui ont fait si malheureusement défaut dans ces dernières années. »

Les protestations du prince Albert contre la pensée d’une coalition anti-française étaient parfaitement sincères ; cela ne fait pas de doute en ce qui le concerne personnellement. Il est permis de supposer toutefois que le roi des Belges et surtout ses agens n’étaient pas absolument hostiles à un projet de ce genre. M. Nothomb, ministre plénipotentiaire de Belgique à Berlin, avait adressé à son gouvernement un rapport dans lequel il appuyait l’idée d’une alliance entre l’Autriche et la Prusse. Copie du document fut envoyée au prince Albert par le roi Léopold et probablement accompagnée par lui de réflexions qui ne se trouvent malheureusement pas reproduites dans le livre de M. Martin. Le prince répondit immédiatement à cet envoi par une lettre dans laquelle il combattait l’opinion de M. Nothomb par des argumens tirés moins du fond