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de renoncer à une amitié dont elle faisait grand cas et dont elle ne parlait jamais qu’en excellens termes. Et puis était-il absolument impossible que par de bons procédés, par de bons conseils, par des démarches amicales, on ne ramenât l’empereur à des sentimens plus pacifiques ? Ou essaya. La reine lui adressa, le 4 février, une lettre dont le contenu avait été arrêté de concert avec lord Derby et lord Malmesbury. L’empereur répondit avec sa courtoisie et sa grâce habituelles protestant de son amour pour la paix, de son respect pour les traités, se plaignant qu’on eût interprété inexactement les paroles conciliantes qu’il avait adressées à M. de Hübner, mais déclarant en même temps qu’il se croirait tenu de défendre le Piémont si ce petit état était attaqué par l’Autriche ou s’il se trouvait engagé avec cette puissance dans une guerre juste et légitime.

La lettre de la reine n’avait pas laissé pourtant de produire une certaine impression sur l’esprit de Napoléon III. Il se prêta plus ou moins sincèrement à une tentative de rapprochement avec l’Autriche. Il demanda même dans cette circonstance les bons offices de l’Angleterre. De là le voyage de lord Cowley à Vienne. On sait comment échoua la mission confiée à ce diplomate. A cet égard le livre de M. Martin, sauf quelques détails purement anecdotiques, n’ajoute rien à ce que l’on trouve dans les remarquables études de M. de Mazade. Après l’échec de la mission de lord Cowley, la guerre était inévitable. L’Autriche, au lieu de l’attendre, se donna, au moins en apparence, le tort de la provoquer. Cette faute, que le prince Albert avait prévue et annoncée avec une rare clairvoyance, fit un peu de bien à l’empereur par l’irritation qu’elle provoqua dans l’opinion et dans la presse anglaises, contre la cour de Vienne.

Cependant Napoléon III n’était pas complètement rassuré sur les dispositions du cabinet de Londres. Il n’avait, dans le ministère anglais, qu’un ami véritable, et cet ami, lord Malmesbury, malgré le poste important qu’il occupait, n’avait pas une très grande influence sur ses collègues. Qui ne sait, d’ailleurs, que l’alliance autrichienne était dans les traditions du parti tory ? Et qui ne comprend que, pour ses projets en Italie, la France avait tout intérêt à-voir les whigs revenir aux affaires ? Le difficile était de mettre un terme aux divisions qui existaient depuis plusieurs années dans le parti libéral et qui avaient amené successivement la chute du cabinet Russell en 1852 et celle du cabinet Palmerston en 1858. Sur le conseil du prince Napoléon, l’empereur fît faire des démarches personnelles auprès des chefs de l’école de Manchester pour amener une réconciliation entre eux et lord Palmerston. La négociation fut conduite si discrètement qu’aujourd’hui encore M. Martin, si bien renseigné cependant, n’y fait aucune allusion et paraît