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maintenant on lui prodigue les marques de sympathie. On fait plus : on lui donne des conseils, on lui souffle des idées, on la presse de prendre en Allemagne une initiative analogue à celle du Piémont en Italie. C’est sur cette situation si nouvelle et si grave que se termine le quatrième volume de M. Martin. Tout annonce le grand rôle que la Prusse va prendre en Europe. Tout concourt à le préparer : l’exemple de l’Italie, les imprudences et l’isolement de la France, les avis et les encouragemens de l’Angleterre. M. de Bismarck peut venir, son heure est proche.

Nous le demandons, maintenant, à ceux qui ont bien voulu prendre la peine de parcourir les pages qui précèdent, est-il possible, est-il permis, quand on étudie les faits, de prêter à la royauté anglaise ce rôle effacé et presque ridicule que ne manquent jamais de lui attribuer les détracteurs plus ou moins intéressés du régime constitutionnel ? Nous avons vu la reine Victoria tenir tête à des ministres qui n’étaient pourtant pas les premiers venus, et battre plus d’une fois, sur le terrain de la politique étrangère, lord Palmerston et lord John Russell. Nous l’avons vue suivre jour par jour les négociations relatives aux affaires d’Orient d’abord et ensuite à la question italienne ; nous l’avons vue, après ses deux visites à Cherbourg, provoquer, diriger, presser les arméniens de la Grande-Bretagne sur terre et sur mer. Nous l’aurions vue, si nous avions étudié l’histoire intérieure de l’empire britannique, surveiller avec la même sollicitude les diverses branches de l’administration. Il n’est donc pas vrai que la couronne, dans une monarchie constitutionnelle, soit dépouillée de sa légitime autorité. Ce qui est vrai, ce qui n’est pas niable, c’est que cette autorité a besoin d’être éclairée par l’expérience et appuyée sur la raison. Il faut prendre la peine de discuter avec ses ministres et de les convaincre ; il ne suffit pas de leur notifier avec hauteur un caprice royal ou une fantaisie impériale. À ce point de vue, la perspicacité politique du prince Albert et sa connaissance profonde des questions européennes en faisaient un collaborateur précieux pour la reine Victoria. Mazarin n’a pas eu plus d’influence sur Anne d’Autriche et ne lui a pas rendu plus de services. A Dieu ne plaise toutefois que nous mettions au même niveau ou les deux hommes ou les deux situations ! L’influence que le cardinal dut conquérir à force de souplesse et de manège, le prince Albert la posséda du droit d’une affection mutuelle, consacrée par le mariage, ennoblie par la pratique du devoir, récompensée par les joies de la famille. Auprès d’une reine irréprochable, il n’y avait place que pour un Mazarin légitime.


EDOUARD HERVE.