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il alla voir et jeta les hauts cris. — O seigneur patron, dit le gars, êtes-vous en colère ? — Allons donc ! point du tout.

Il arriva que le garçon devint amoureux de la servante, qui se nommait Gigia. Le prêtre dit à Gigia ; — Demande-lui de quoi il a peur ; nous arriverons bien à le mettre en colère ! — Le garçon avait peur des chouettes. Quand le prêtre le sut, il fit déshabiller Gigia, l’enduisit de miel, la couvrit de plumes et lui dit de monter sur un arbre en face de la fenêtre du garçon. — Là, dit le prêtre, tu pousseras le cri de la chouette et je gagnerai les cent écus. — Marc (c’était le nom du gars), se cacha sous sa couverture, puis, perdant patience, il prit son fusil et tira sur l’arbre d’où venait la voix. Il entendit tomber quelque chose. — Chante à présent, tu as ton affaire, — et il rentra dans son lit. Le prêtre se mit à la fenêtre en entendant le coup de feu et il vit la pauvre Gigia qui était tuée. Il courut chez Marc : — Ah ! coquin, ah ! scélérat, qu’as-tu fait ? — Si vous n’êtes pas content, je tire aussi sur vous. — Quoi donc ! Marc, es-tu en colère ? — Non, est-ce que vous le seriez vous-même ?

Pas le moins du monde. — Ainsi finit l’affaire, et ils allèrent tous deux se recoucher.

Un autre jour, le prêtre lui dit : — Sais-tu, Marc, demain matin tu selleras le cheval ; nous allons chez un neveu à moi qui va se marier. — C’est bien ; faut-il que je prépare un peu de fromage, un peu de vin, quelque chose ? — Ne prépare rien : on sera vite arrivé. — Le matin venu, le prêtre à cheval et Marc à pied se mirent en route. Chemin faisant, le maître eut bientôt faim, mais le garçon avait pris ses précautions. Un peu plus loin, le petit fourbe se dit fatigué, il pria qu’on le laissât monter à cheval, mais dès qu’il y fut, il piqua des deux ; le pauvre curé resta en arrière. La nuit les gagna devant la maison d’un paysan. — Entrez, leur dit-on, vous serez au moins à couvert. — Pour faire enrager Marc, le prêtre répondit : — Merci bien, nous resterons derrière la grange. — Le garçon tira son fromage avec un bon morceau de pain et se mit à manger ; le prêtre ne le voyait pas, mais entendait le bruit des mâchoires : — Que fais-tu là ? — Que voulez-vous, seigneur patron ? je tâche de manger un peu de paille. — Oh ! oh ! est-ce qu’on peut l’avaler ? — Je le crois, pourvu qu’on la mâche. — Le prêtre voulut en goûter, et le voilà qui mange de la paille. Marc avait un joli petit fiasque de vin et se mit à boire. — Que fais-tu là ? Bois-tu ? — Que voulez-vous, seigneur patron ? toute la paille m’est restée au gosier, — et il se remit à manger. — Tu manges encore ? — J’ai une faim de loup. Eh ! seigneur patron, est-ce que vous seriez en colère ? — Moi, pas du tout. Allons donc !

Quand il fit jour, ils se remirent en route ; ils n’arrivèrent que le soir, et le repas de noces était fini. Il restait pourtant de quoi