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Haussons le ton, nous allons entrer dans l’épopée populaire. Léonbrun, le cher Léonbrun, disent les Florentins, comme les Espagnols disaient mon Cid, et comme Virgile disait le pieux huée, est le héros de plusieurs poèmes et de quantité de légendes répandues en Toscane et ailleurs. Alfred de Musset demandait qu’on lui prêtât le manteau de Faust ; plusieurs poètes italiens invoquèrent le manteau de Léonbrun, qui rendait invisible. Le mythe de Ganymède et celui de Cybèle reparaissent dans la longue histoire que nous allons abréger, car elle pourrait remplir tout un cycle épique. Les Toscans ont la geste de Léonbrun comme nous avons celle de Roland.

Un pêcheur tire de l’eau un serpent qui lui demande : — Combien as-tu de fils ? — J’en ai douze. — Donne-m’en un, sinon je les tuerai tous et toi avec eux, — Le pêcheur va chaque matin offrir au serpent un de ses fils pour sauver les autres ; mais le serpent refuse les onze premiers : c’est le dernier qu’il veut, le Benjamin de la famille, Léonbrun. Au moment où Léonbrun va être livré, un aigle l’enlève et le transporte dans une île, la plus haute qui soit au monde, sur le toit de dame Aquilina ! C’était une reine et une fée ; elle accueillit Léonbrun et l’épousa. Elle lui dit un jour : — Mon cher Léonbrun, je suis dans votre âme et je sais la pensée que vous avez. Vous donneriez beaucoup pour aller faire visite à M. votre père, à madame votre mère et à vos onze frères. Vous partirez demain. — Le lendemain, elle lui dit : — Vois-tu, cher Léonbrun, voici les cadeaux que j’envoie à mon beau-père, à ma belle-mère et à mes onze beaux-frères. Voici les cassettes et les clés ; quand chacun aura ouvert sa cassette, il deviendra richissime, tous pourront acheter la croix de chevalier, une épée, des villas, des terres, et vivre en grands seigneurs. Ton père te conduira dans le casino des nobles, et on te demandera si tu as à toi quelque rareté. Ne réponds jamais : J’ai une très belle femme ; si tu le fais, tu seras trahi. — Puis elle tira un anneau de son doigt et le mit à celui de Léonbrun. — Viens, cher Léonbrun, quand tu auras envie de quelque chose, frotte cet anneau contre le mur et tout ce que tu voudras, tu l’auras aussitôt. Seulement, souvenez-vous bien, mon cher Léonbrun, de ne jamais dire que vous avez une très belle femme, sans quoi vous serez trahi. Adieu ! adieu ! — En un clin d’œil Léonbrun fut transporté avec les voitures, les portefaix et tout chez M. son père. Il descendit de voiture, on déchargea les malles et les carrosses avec les portefaix, qui disparurent aussitôt. Léonbrun ne fut pas reconnu d’abord et jouit quelque temps de son grand air de chevalier ; mais quand il eut ôté son chapeau et montré sur sa tête la cicatrice d’une blessure qu’il s’était faite en roulant sur l’escalier : — C’est Léonbrun, dirent le père et la mère, et