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volontiers passionné : il est clair qu’il regarde les protestans moins comme des hérétiques que comme des chrétiens ; il sent mieux ce qui les unit à lui que ce qui les en sépare ; il souffre de ce grand déchirement religieux, qui fut aussi un déchirement national. L’écrivain ne cherche pas seulement à être équitable, il veut être généreux, il est pris d’une noble pitié pour tant de martyrs et de héros qui ont confessé leur foi dans les supplices ou dans les combats. Comme il effacerait, s’il le pouvait, tant de taches sanglantes ! comme il rougit de tant de trahisons ! comme il voudrait expier tant de criantes injustices !

L’historien catholique qui veut juger impartialement les acteurs de nos guerres religieuses se donne une tâche bien difficile. Quand on ne veut pas tromper les autres, on peut encore se tromper soi-même. On a beau se dire que la vérité religieuse est à des étages si élevés qu’elle ne peut être éclaboussée par le sang humain, comment peut-on ne pas être invinciblement enclin à chercher pour les fautes des siens ce que l’on nomme de nos jours les « circonstances atténuantes ? » Comment peut-on s’empêcher de confondre quelquefois les doctrines et les défenseurs des doctrines ? M. de Meaux ne s’en cache point : il laisse voir partout son zèle catholique ; et comment pourrait-on l’en blâmer ? Si sévère qu’il puisse être pour les hommes, a-t-il le droit de l’être pour la passion qui les animait et qu’il sent remuer dans son propre cœur ? Nous pardonnons à d’Aubigné ses colères huguenotes, nous pouvons bien pardonner quelque chose à l’ardeur royaliste et catholique d’un Montluc. Il y eut chez les uns et les autres des bourreaux et des victimes. Sans doute le cœur de l’historien généreux s’émeut surtout pour les causes vaincues, mais nous ne pouvons trouver mauvais que M. de Meaux vante sans cesse la fidélité naïve, tenace, patiente du peuple français à son ancienne foi et qu’il ose être juste, même pour la ligue.

Si le récit de nos guerres de religion est de nature à remplir de pitié les âmes les plus dures, il s’y trouve pourtant toujours quelque chose de fortifiant, de noble et de grand. Des deux côtés en effet on se battait pour une cause que l’on croyait sainte : on s’enrégimentait pour un roi plus grand que tous les rois de la terre. On suivait sans doute en même temps qu’une cause idéale toute sorte d’intérêts terrestres : la guerre entre Rome et les églises était aussi la guerre entre la monarchie absolue et la monarchie féodale, entre les parlemens et les grands, entre la robe et l’épée, entre les villes et les châteaux ; mais tous ces intérêts terrestres, qui n’avaient que confusément conscience d’eux-mêmes, s’effaçaient devant l’intérêt religieux. Les ambitions avouées des deux partis étaient si hautes qu’elles allaient jusqu’à dominer le sentiment