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Hors de France, le nombre était encore du côté des catholiques, dans la plupart des contrées de l’Europe d’où leur culte était chassé, et dans le moment même où on le chassait sans retour ; ils avaient pour eux le nombre en Béarn, quand Jeanne d’Albret foulait aux pieds les persistantes réclamations des états ; ils l’avaient en Angleterre, même après Henri VIII et sous Elisabeth, des écrivains anglais catholiques et protestans l’ont constaté. » La minorité huguenote était servie par trois forces puissantes. Elle était servie par l’organisation des églises, qui lui permettait de couvrir le pays de foyers de propagande toujours actifs, lumières qui pouvaient à volonté s’éclipser ou luire d’un vif éclat, qui attiraient toutes les âmes passionnées qui voulaient sortir de la nuit de la tradition et de l’obéissance ; elle l’était aussi par la théologie de Calvin, qui semblait marquer tous les adeptes de la nouvelle foi du sceau de la prédestination et qui créait un peuple d’élection au milieu des réprouvés, un nouveau peuple juif destiné à triompher des gentils, — la justification par la foi était l’œs triplex qui armait les huguenots, la prédestination était la colonne de feu qui les conduisait à travers le désert en aveuglant leurs regards. Enfin, leur cause, pour être soutenue par le petit nombre, avait l’avantage d’avoir été embrassée par la partie la plus aristocratique de la nation. Chaque église avait été fondée par un grand où demeurait sous sa protection. Les seigneurs se faisaient une arme des églises, et les églises profitaient de tout ce qui restait encore à la noblesse française d’indépendance et de force.

Trois ans après la première paix de religion, obtenue les armes à la main, les députés des églises, dans un mémoire présentera Catherine de Médicis, portaient à deux mille deux cent cinquante le nombre des églises existant dans le royaume. À quel chiffre de fidèles correspondait ce nombre d’églises ? L’ambassadeur de Venise, témoin généralement très impartial des événemens, estimait dans ses dépêches que « à peine la trentième partie du peuple et le tiers de la noblesse était hérétique. » (Jean Correro, 1569.) Coligny se vantait de pouvoir mettre les armes aux mains de deux millions d’hommes, mais ce chiure est évidemment exagéré.

La proportion indiquée par l’ambassadeur vénitien Correro est très importante à noter : quand le tiers de la noblesse s’était rallié à la nouvelle foi, le trentième seulement du peuple avait abandonné ses anciens autels. Ce peuple n’avait point de part dans le gouvernement, il donnait peu de soldats aux petites armées qui se disputaient sur les champs de bataille, mais il se montra rebelle aux nouvelles idées ; ici il s’éloigna des églises, ailleurs il les étouffa pour ainsi dire sous son poids. Il est probable cependant que, si la nouvelle foi avait pu monter sur le trône, si la royauté, au lieu d’isoler le