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nouveau culte en le protégeant, l’avait ouvertement embrassé, la nation aurait fini par suivre le souverain ; de nature fidèle et poétique, elle ne voulait point briser les monumens de sa vieille foi ; elle ne voulait pas davantage briser le trône. Dans la grande lutte entre le protestantisme et le catholicisme en France, le dernier mot devait forcément appartenir à la royauté. « En rompant l’unité catholique, la secte nouvelle, dit M. de Meaux, travaillait partout à se constituer en église nationale. Dans chaque pays, elle se cherchait un centre là où était le centre de la nation ; elle aspirait à dominer le peuple au moyen de la puissance civile. Dès lors il fallait, au sein des monarchies, ou qu’elle s’emparât de la royauté et s’en fît un instrument, ou qu’elle la brisât ; dans les deux cas, qu’elle changeât à fond la constitution de l’état. » Briser la monarchie en France, au XVIe siècle, personne n’y songea.

La suprématie de la France en Europe, sa destinée dans le monde, semblaient aux protestans comme aux catholiques, aux philosophes même comme Machiavel et Bodin, indissolublement liées à l’existence de la royauté. Jean Michel, ambassadeur de Venise, signale, comme ce qui fait la force de l’état en France, la puissance du roi, fondée « sur un respect et sur un amour qui va jusqu’à l’adoration. « Il ajoute que c’est là « une chose non-seulement extraordinaire, mais unique et qui ne se voyait nulle part ailleurs dans toute la chrétienté (1561). » La loi salique était regardée comme l’ancre de salut à laquelle était attachée la fortune de la France. Toutes les révoltes des protestans se couvraient d’une fiction ; même en combattant les armées royales, les huguenots affectaient toujours de combattre pour le roi, pour la liberté royale, qu’ils représentaient comme entravée, pour les édits royaux ; quand ils ne pouvaient avoir le roi dans leurs rangs, il leur fallait des princes du sang.

Mais quand la branche des Valois commença à sécher, on put prévoir qu’une guerre de succession serait greffée sur la guerre de religion. Si inviolable que parût à tous les yeux le principe de l’hérédité monarchique, il était impossible que la majorité catholique pût voir tranquillement la foi nouvelle s’établir sur le trône. Jeanne d’Albret dans le Béarn avait assez montré à quoi le souverain pouvait réduire ses sujets. La mère d’Henri IV, après avoir été d’abord portée à la tolérance, avait fini par « imiter Ézéchias, Josias et Théodose, qui avaient détruit l’idolâtrie. » Les « ordonnances ecclésiastiques de Jeanne, par la grâce de Dieu reine de Navarre, sur le rétablissement du royaume de Jésus-Christ, en son pays souverain du Béarn » imposaient à tous les Béarnais la confession de foi des églises calvinistes de France, exigeaient leur profession publique et leur assistance au prêche sous peine d’amende, de prison et de bannissement.