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aimait à confesser la sienne sur les champs de bataille. M. de Meaux n’a point de mépris pour cette noblesse, il regrette seulement qu’elle ait usé ses forces dans les luttes religieuses : « Les hommes, dit-il, dont la foi religieuse repousse le protestantisme, et dont le patriotisme aime la liberté sans révolution, ne regretteront jamais assez que les efforts et les ressources dépensés dans le camp des réformés, pour le triomphe de la secte nouvelle, n’aient pas été consacrés parmi nous à maintenir et à développer sans désordre les vieilles franchises nationales. Quels grands noms que Coligny, du Plessis-Mornay, La Noue, d’Aubigné même ! quels grands citoyens s’ils n’avaient pas été des sectaires ! Hommes d’épée et hommes de plume, chefs d’armée et chefs de parti, publicistes, diplomates, orateurs, ils soutiennent des polémiques religieuses, ils organisent des troupes, ils commandent des batailles et se battent eux-mêmes en soldats ; ils dominent par le seul ascendant de l’éloquence et du caractère des assemblées indisciplinées ; ils conseillent des princes, ils conduisent des négociations ; enfin ils exercent ensemble toutes les facultés de l’intelligence, ils parcourent à la fois toutes les carrières de l’activité humaine, et par dessus tout, à travers les vicissitudes de la fortune la plus orageuse, leur âme demeure indomptable. » Certes, l’éloge est grand, mais quel était le mobile de cette incessante et courageuse activité ? C’était la foi religieuse. Si vous remplacez en imagination cette foi religieuse par quelque autre mobile, l’amour de la liberté politique, des franchises nationales, vous faites un pur roman. Les choses arrivent à leur heure. Coligny était un grand chrétien, il n’avait rien du philosophe ni même du parlementaire ; ce que M. de Meaux appelle un peu vaguement les franchises nationales lui importaient fort peu. Il aurait voulu marier la monarchie à sa foi, mais il tenait pour une monarchie très militaire, très puissante et pour un régime où les hommes d’épée étaient les maîtres. Nous ne croyons pas que l’ardeur huguenote aurait pu se détourner vers des réformes politiques ; ces réformes étaient prématurées, la France n’avait point de solides frontières ; son unité nationale n’était pas assez forte ; tout concourait à grandir le rôle de la monarchie. Ni les huguenots ni les catholiques ne voulaient diminuer ce rôle, ils voulaient les uns et les autres mettre le roi dans leur parti. Aussi l’avènement d’Henri IV fut-il le nœud de ce grand drame, qui avait duré près d’un siècle. Son règne n’est pas seulement le plus émouvant peut-être de notre histoire à cause des qualités extraordinaires et du génie du souverain, c’est aussi l’un des plus décisifs, si je puis me servir de ce mot, parce qu’il donna, après de longues hésitations, un tour marqué et définitif au caractère de la monarchie française.


AUGUSTE LAUGEL.