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enseigne ce qu’on doit faire et ce qu’on doit omettre dans tous les cas possibles. Plus tard, la foi s’étant attiédie, on a vu l’état se soustraire à cette direction qui lui pesait et cependant par politique se faire le protecteur de l’église, pour qu’en retour elle prêchât aux peuples la soumission et le silence. De toute manière, dès que la politique et la religion concluent ensemble un traité d’alliance offensive et défensive, on en vient à considérer l’orthodoxie comme une vertu civile ; le gouvernement s’attribue en matière de croyances le droit de frappe et d’émission, l’hérésie est poursuivie comme la fausse monnaie. L’état ayant les mêmes ennemis que Dieu, il met ses dragons ou ses gendarmes à son service et fait en son nom la police des consciences.

A vrai dire, de tels excès ne sont plus à craindre. Les conversions forcées sont passées de mode. On ne persécute plus les consciences, mais dans certains pays on les tracasse ; on ne permet plus au clergé de régner, mais on lui accorde des privilèges ; on ne met plus à sa disposition la loi et le gendarme, mais on vient à son aide par des ordonnances de police. Dans quelque mesure que l’état intervienne pour favoriser telle ou telle opinion religieuse aux dépens des autres, on peut faire valoir contre son ingérence tous les argumens des libre-échangistes contre le protectionnisme et lui représenter qu’il se mêle de ce qui ne le regarde pas, qu’il compromet sa dignité quand il se laisse gouverner par la théologie, qu’il s’expose au ridicule quand il se fait lui-même théologien et qu’il s’avise de dogmatiser. On pourrait lui dire, en retouchant un mot célèbre : « Laissez vivre toutes les sectes, Dieu se chargera de reconnaître celles qui sont à lui. »

Aux raisons solides, empruntées à l’histoire ou à la philosophie, M. Vogt en a ajouté d’autres fort spécieuses, qui cependant nous touchent moins. Il a allégué qu’il était profondément injuste d’obliger les gens qui ne croient pas à subvenir aux frais du culte, et les gens qui ne vont jamais à l’église à soutenir de leur argent une institution qui leur paraît inutile ou malfaisante. On a répondu à cela que le budget serait fort compromis si les contribuables refusaient de participer à toute dépense dont ils ne profitent pas. Il en est qui n’aiment pas la musique et qui trouvent fort mauvais qu’on les force à contribuer quelque chose aux dépenses de l’Opéra. D’autres ne croient pas aux médecins ou guérissent tous leurs maux par des globules, à l’aide d’une petite pharmacie de poche, qu’ils portent partout avec eux ; ils se plaignent que l’état prenne sur les deniers publics pour entretenir des facultés de médecine allopathe, dont ils ne sentent pas le besoin. D’autres encore estiment que les écoles laïques sont un fléau, que la morale indépendante est un poison, que hors du catéchisme il n’y a pas de vertus ; ils s’écrieraient volontiers comme le brave pasteur Adams, dont Fielding a célébré les exploits : « Je passerais plutôt à un enfant d’être un imbécile toute sa vie