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baie des Iles sous la domination de Tuatara paraît ravissant, la situation jolie et pittoresque au possible, le sol fertile, le climat salubre et plein de charmes même au cœur de l’hiver.

Tout marchait à souhait. En 1814, Marsden prend la résolution de diriger la mission de la Nouvelle-Zélande et de fonder un établissement durable ; — un de ses compagnons, John Liddiard Nicholas, sera l’historien du voyage[1]. À cette époque, Tuatara était venu faire une seconde visite à Port-Jackson, où l’on voyait alors deux autres chefs néo-zélandais. Tuatara était un jeune homme de haute stature, aux yeux étincelans, à l’air digne ; il se préoccupait particulièrement des avantages de l’agriculture. Hongi, chef d’un rang supérieur, fort tatoué, d’un caractère placide en apparence, était épris des arts manuels et s’y montrait fort habile. Le troisième, Korokoro, homme d’aspect farouche, ne rêvait que combats ; du reste il étendait son mépris sur toute chose. Ces chefs avaient bien encouragé les missionnaires à venir demeurer dans leur île. Le départ s’effectua au milieu de la joie ; mais, durant la traversée, quelle pénible surprise ! On voit se prononcer chez les Néo-Zélandais un changement d’attitude, de contenance ! Tuatara, d’ordinaire très communicatif, se tient à l’écart, silencieux, triste, morose. Pressé de questions au sujet du chagrin qu’exprime son visage, il hésite à répondre et finit par déclarer qu’il regrette de tout son cœur d’avoir encouragé les missionnaires à venir dans son pays. Au moment de quitter le Port-Jackson, un ami lui a conté qu’en peu de temps les missionnaires arriveront en grand nombre, que bientôt ils seront assez puissans pour se rendre maîtres de l’île tout entière, anéantir les habitans ou les réduire en esclavage. Celui qui m’a parlé, ajoute Tuatara, m’a dit pour me convaincre de la justesse de son assertion, de regarder la conduite des Anglais à la Nouvelle-Galles du Sud. Dès le commencement, ils ont dépouillé les indigènes ; sans merci, ils ont tué la plupart avec la dernière cruauté ; peu d’années encore, et la race d’un peuple jadis heureux sera éteinte. En entendant ce langage prophétique qu’il veut croire calomnieux, le révérend Marsden se sent navré. Il avait édifié ses espérances sur la protection qu’accorderaient les chefs zélandais devenus ses amis ; ne pouvant plus y compter, il redoute d’aller prendre résidence au milieu de sauvages hostiles. Néanmoins l’entreprenant chapelain assure Tuatara que les missionnaires n’obéissent à aucun motif ou d’ambition ou d’avarice. S’ils désirent visiter la Nouvelle-Zélande, ils sont guidés par la sollicitude la plus désintéressée pour le bonheur du peuple de cette contrée. « Ah ! si vous

  1. Narrative of a voyage to New-Zealand, performed in the years 1814 and 1815 in company with the Rev. Samuel Marsden, 2 vol. in-8o ; London, 1817.