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en bonne humeur le maître de la localité, homme très vieux et fort grave. Il montra empressement à fournir à ses visiteurs les provisions dont ils déclaraient avoir un assez pressant besoin ; on le vit tout de suite ordonner de saisir des bêtes porcines errantes dans la campagne.

En arrivant à Rangihou après douze jours d’absence, ce fut plaisir de remarquer combien avançait l’installation des missionnaires. M. Kendall comptait déjà deux élèves, deux petits garçons, qui donnaient de belles espérances. Ayant apporté d’Angleterre un orgue, il en essayait l’effet sur les sauvages. Un incident troubla un peu la joie répandue dans la maison du maître d’école ; la blonde chevelure de Mme Kendall se trouva envahie par les insectes qui à la Nouvelle-Zélande abondent sur les têtes. Aussitôt, on classa parmi les sujets dont les missionnaires devaient s’occuper sans retard le soin de faire luire les avantages de la propreté comme d’inspirer la répugnance pour les bêtes parasites. De tous les travaux qu’exécutaient les ouvriers attachés à la mission, ceux de la forge intéressaient le plus vivement les indigènes ; les étincelles jaillissant du fer rouge sous les coups de marteau déterminaient des explosions de surprise et de gaîté.

Au milieu du calme le plus profond, survint une terrible alarme. Les vociférations, prélude ordinaire des combats, éclataient de toutes parts ; les hommes portaient l’attirail de guerre ; des pirogues menaçaient de jeter sur la grève de nombreux ennemis ; inquiets, les missionnaires se réfugièrent sur le navire. L’affaire n’eut pas la gravité qu’on redoutait, un arrangement fut conclu entre les partis ; le territoire de la colonie rentra dans l’ordre accoutumé. M. Marsden songeait avec tristesse qu’il en coûte pour faire le bonheur des sauvages ; il calculait ses dépenses déjà un peu lourdes ; mais ne pouvait-on pas venir en aide aux œuvres de la foi par quelques opérations lucratives ? Le pieux chapelain le pensa. Ayant l’idée de porter à la Nouvelle-Galles un bon lot de poissons séchés ou salés, il partit sans retard pour la résidence de Korokoro, voisine du cap Brett, où il existait une pêcherie renommée ; n’oubliant pas le fameux lin[1] dont l’importance industrielle restait encore douteuse, il n’hésita point à s’en procurer une certaine quantité. Connaissant la valeur des bois de la Nouvelle-Zélande et n’ignorant pas la manière simple d’en acheter, il se mit en devoir d’agir afin de prendre sur l’Active, le chargement d’espars le plus gros possible.

Pendant une course à travers la région des forêts, un chef réputé pour ses instincts cruels inspira des appréhensions ; mais il n’y eut aucune suite fâcheuse. Un homme portait suspendu au cou un instrument en os sculpté d’une façon remarquable ; c’était un

  1. La fibre du phormium.