Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 36.djvu/799

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

naturels ; les matelots en avaient repris possession, mais la lutte avait été sanglante ; on disait considérables les pertes des Anglais.


IV

Que devient la petite colonie de Rangihou ? Si l’on en juge par diverses circonstances, il y a souvent des heures d’inquiétude, des instans de tristesse et d’ennui. Une pirogue partie en guerre, l’équipage ayant tué trois hommes les a mangés ; il ramène captives une femme et cinq jeunes filles et apporte comme trophée la tête d’un ennemi qu’on installe dans l’établissement de la mission ; — il fallut bien des prières pour déterminer les indigènes à l’enlever. Une contestation s’était élevée entre Korokoro et un chef du voisinage de Wangaroa, ce dernier suivi de son peuple fait une descente à la baie des Iles, et ce sont les violences et le fracas habituels des irruptions de barbares. M. Kendall estime pourtant qu’il suffira aux colons de rester neutres en présence des conflits pour n’avoir rien à redouter des naturels. On suit, non sans amertume, dans la population les fâcheux effets de son contact avec les Européens ; un mal funeste se répand par les femmes qui fréquentent les navires[1].

Les missionnaires se rendirent en un lieu du nom de Waitangi qu’arrose un rapide torrent ; ils voulaient nouer des relations avec le chef Waraki et même l’endoctriner. La démarche eut succès ; pour le compte de la société une pièce de terre qu’on jugeait excellente fut achetée pour des clous et des haches. Waraki, homme intelligent, exprimait la crainte déjà manifestée par plusieurs de ses compatriotes devoir dans un avenir prochain les Anglais accroître leurs forces, refouler les indigènes dans les forêts et s’emparer des terres ; les pasteurs évangéliques en repoussaient l’idée avec une chaleur que ne motivait point sans doute une profonde conviction. Waraki répétait : Si quelques Européens se fixent en ce pays, nous y trouverons avantage ; s’ils viennent en grand nombre, ce sera une calamité. Un jour, les insulaires ayant appris l’arrivée du capitaine qui avait massacré la plupart des habitans de la petite île de Rangihou, croyant tirer vengeance de la perte du Boyd, demandèrent à M. Kendall d’inviter cet officier à descendre à terre et de lui faire honte de sa mauvaise action. Le missionnaire, grand justicier comme on s’en souvient, promit d’obtempérer à ce désir. Au jour fixé pour l’entrevue, un Néo-Zélandais familiarisé avec la langue angla/’se, s’adressant au marin, dit : « Capitaine, regardez l’île, » — et en présence des traces du désastre, le capitaine comprit la portée de cette simple parole. L’insulaire énuméra les hommes, les femmes,

  1. Missionary Register ; Doccmber, 1816.