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gratifièrent d’armes et de munitions, ne soupçonnant pas que pareille générosité servirait à perpétrer bien des crimes.

Au retour, les insulaires abordant à Port-Jackson trouvent asile, suivant la coutume, dans la maison de Marsden, à Paramatta. Le bon chapelain doit alors subir une douloureuse impression. Hongi, dont il a loué dans ses correspondances les formes douces, est aujourd’hui plein d’arrogance ; il ne rêve qu’entreprendre la guerre afin de devenir puissant comme le roi d’Angleterre. Sous le toit du chapelain de la Nouvelle-Galles du Sud vivait alors Hinaki, un chef des rives de la Tamise ; c’est l’occasion pour Hongi d’ouvrir les hostilités. Prétendant qu’un homme de sa tribu a été tué par des gens de la Tamise, il menace Hinaki de toutes ses fureurs dès qu’ils auront mis le pied dans leur île. Les deux chefs s’asseyent à la même table, ils partent sur le même navire et, aussitôt débarqués, chacun court rassembler ses forces. Hinaki, de son mieux, prépare la résistance ; mais Hongi, ayant réuni trois mille hommes armés d’une façon supérieure, se jette sur l’adversaire. Pendant la lutte tombe Hinaki, atteint de trois balles ; soudain Hongi, écumant de rage, s’élance et, de son poignard ayant frappé au cou l’ennemi déjà inerte, tel que le plus affreux sauvage, boit le sang qui jaillit de la blessure. On compte un millier de morts ; trois cents vont être rôtis et mangés sur place. Les habitans qui survivent ont fui pour ne plus revenir ; désormais le pays où fut le champ de carnage restera désert. Le sombre vainqueur revenant à la baie des Iles, chacune de ses embarcations porte nombre de prisonniers ; sa propre pirogue une vingtaine, tous destinés à l’esclavage. Au moment où Hongi veut aborder, sa fille erre sur la grève, éperdue, pleurant son mari tué pendant l’action ; soudain, comme une furie, elle saute dans la pirogue, arrache des mains de son père l’épée tranchante qu’il tient de la munificence du roi d’Angleterre, et abat la tête de seize captifs qui, sans murmure et sans résistance, se laissent mettre le cou sur le bord du bateau. La vengeance accomplie, cette veuve terrible décharge un fusil sur elle-même ; blessée, elle ne reprend ses sens que pour s’étrangler afin de rejoindre au plus vite son époux au séjour des âmes[1].

Dans les combats entre les insulaires, le changement est prodigieux. Les vaillans guerriers d’autrefois maudissent les armes à feu dont ils sont encore privés ; ils succombent en méprisant les ennemis qui, n’osant plus se mesurer corps à corps avec la lance et la massue, donnent lâchement la mort au loin en se tenant hors

  1. Un des plus importans historiens de la Nouvelle-Zélande, le rév. Richard Taylor : Te Ika-a-Mawi or New-Zealand and its inhabitants, rapporte les circonstances de cette scène d’après un témoin oculaire, M. Puckcy, l’un des missionnaires évangéliques.