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« l’artillerie » et la traînaient à l’Hôtel de Ville. Désormais, l’insurrection en permanence est maîtresse des rues : « tousjours estaient ceux de Paris ainsi comme esmeus, et se armoient et assembloient souvent. » Échauffant de leurs discours la sédition, les hommes de Marcel, mêlés aux groupes, s’agitent et manifestent dans les quartiers populeux, aux halles, aux Innocens, en place de Grève, tandis que leurs émissaires, courant le pays, sollicitent les bourgeois d’arborer les couleurs parisiennes et de sceller publiquement « l’union » des communes de France. L’Hôtel de Ville, qui avait commencé par appuyer l’assemblée, finit par la supplanter et la congédier.

Marcel, homme d’action énergique, n’était pas un discoureur. Il s’imposait par l’audace calculée de ses projets, par l’intrépide sang-froid de son caractère. Il était de la race des taciturnes, dont la pensée profonde et concentrée exerce sur les multitudes une fascination mystérieuse, non moins puissante que le brillant prestige des harangueurs : en cela il différait des agitateurs contemporains, tels que Jacques et Philippe d’Arteveld, « beaux langagers », selon Froissart. Les Grandes Chroniques ont cité de lui quelques paroles jetées à la foule après l’assassinat des maréchaux de Champagne et de Clermont ; nous regrettons d’y trouver, sous les formes embarrassées de la langue du XIVe siècle, l’ordinaire apologie des crimes commis dans l’emportement des passions révolutionnaires : il s’excuse du sang versé en alléguant « le bien commun et la volonté du peuple », tristes sophismes des consciences que la politique a faussées et que le remords inquiète.

Ce gouvernement du silencieux prévôt avait de bruyans organes. Il se tenait en rapports directs avec le peuple par la voix des quatre échevins, Pierre Boudon, Jean Belot, Philippe Giffart, Charles Toussac, chargés d’expliquer la pensée du chef, d’exciter le zèle des tièdes, de combattre et de rallier les dissidens. Tous les jours, des paroles ardentes étaient lancées, « des fenestres de la maison de ville », aux bandes armées qui couvraient la place de Grève ; ces motions provoquaient l’invariable cri de la foule : « Nous voulons vivre et morir avec le prévost des marchans ! » Remarquons comme les grands mots viennent facilement dans les situations violentes, et comme les sentimens extrêmes se traduisent vite, même chez les hommes peu cultivés, par l’exagération de la phrase : ces harangueurs et ce public populaire de 1356 possèdent, sans l’avoir appris, le vocabulaire des révolutions. Un méridional naturalisé Parisien, Charles Toussac, passait pour une des bonnes têtes et pour la meilleure langue de tout cet échevinage ; il joignait à la faconde pittoresque et sonore du pays des troubadours la finesse d’esprit particulière aux provinces de langue d’oïl. Instigateur des mesures les