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complète l’ouvrage. Ce qui manque souvent aux récifs de voyages, c’est l’ampleur et l’abondance de détails : on y voudrait plus d’anecdotes caractéristiques et d’observations de mœurs, la nature étant sans doute fort intéressante pour l’homme, mais l’homme même bien plus intéressant encore. Il y a des voyageurs trop savans, beaucoup trop savans, qui n’enregistrent dans leur journal qu’observations scientifiques proprement dites, qui mesurent trop de montagnes et qui promènent avec eux trop de baromètres, thermomètres et autres instrumens. Comme disait Voltaire, on va « très commodément de Paris en Auvergne, sans qu’il soit besoin de savoir sous quelle latitude on se trouve. » Trop préoccupé de la latitude, on oublie de regarder le paysage et les habitans. M. Gourdault n’est pas de ces voyageurs distraits. C’est pour notre plus grand agrément qu’il se promène à travers les vingt-deux cantons. « J’étais là, nous dit-il, telle chose m’advint. « Il court les fêtes et les foires, il recueille curieusement les légendes, qui ne manquent pas en Suisse, merveilleuses et poétiques, il observe les mœurs, les coutumes, les types, il n’oublie pas les souvenirs historiques, et de toutes ces courses, de toutes ces études, il a rapporté ces deux volumes, magnifiquement illustrés, livres d’art, d’histoire et de voyages à la fois.

Le volume que la maison Quantin publie sous ce titre, l’Amérique du Nord[1] est de ceux encore que l’on n’hésite pas à recommander. Ici peu de légendes et peu d’histoire : ce sont les beautés naturelles de ces vastes contrées d’outre-mer qui font les frais de la description, c’est le présent qui fait les frais du récit. L’ouvrage, illustré de plus de 300 gravures, nous vient d’Amérique en droite ligne, et ce sont des écrivains américains qui en ont écrit le texte.

Comme volume de port moins imposant et d’apparence moins luxueuse, mais non pas moins instructif, signalons encore le Voyage au Cambodge de M. Delaporte[2] suivi d’une très curieuse étude et très neuve sur l’architecture khmer, dont les lecteurs de la Revue n’ont pas sans doute perdu le souvenir. Ce n’est plus ici seulement un voyage de plaisance dans une de ces contrées depuis longtemps entrées dans le cercle de notre civilisation. C’est un voyage d’exploration, à la recherche de l’inconnu. Ni les aventures, par conséquent, ni les anecdotes, ni les détails de mœurs n’y manquent. L’illustration en est très abondante et très variée. A peine est-il besoin d’ajouter qu’elle est curieuse au plus haut point. Nous sommes en présence d’un art tout différent du nôtre, créé d’original par des races qui n’ont avec nous que bien peu de traits communs, qui semblent moins en avoir à mesure qu’on les connaît davantage, tout à fait excentriques au mouvement de notre civilisation européenne, et d’autant mieux faites pour provoquer notre

  1. L’Amérique du Nord pittoresque, par M. Cullen Bryant, 1 vol. in-4o ; Quantin.
  2. Voyage au Cambodge, par M. Louis Delaporte, 1 vol. in-8o, orné de 173 gravures et d’une carte ; Delagrave.