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céder aux tentatives de pression de ceux qui, après s’être engagés dans des voies aventureuses, s’efforcent de le compromettre dans leurs équipées et se flattent eux-mêmes en disant : Le sénat votera, le sénat approuvera ! Le sénat pourra fort bien au contraire ne pas approuver et ne pas voter, sans compromettre pour cela l’intégrité des institutions ou l’accord des pouvoirs publics. Il n’est pas fait pour innocenter les témérités et encourager les aventures ; il est fait pour décourager les propositions désorganisatrices, pour arrêter au passage les tentatives périlleuses soit dans les affaires de la magistrature, soit dans le domaine de l’enseignement supérieur, soit dans toute autre sphère des intérêts nationaux, et, en agissant ainsi, dans les circonstances présentes, il remplirait avec autant d’à-propos que d’utilité sa vraie fonction constitutionnelle. Loin de se compromettre, il se populariserait aux yeux du pays, qui verrait en lui le gardien de toutes les garanties ; il rendrait le plus profitable service au gouvernement, qu’il fortifierait contre les tentatives ou les pressions dangereuses, et à la république elle-même, qu’il contribuerait à préserver des crises et des périls qu’on lui préparé.

Tout n’est point certes favorable en France, et les confusions de politique intérieure ne sont pas de nature à faciliter l’œuvre de M. le ministre des affaires étrangères, à fortifier le crédit de notre diplomatie. Il n’y a qu’une compensation, si la compensation est possible, si on peut appeler de ce nom les difficultés d’autrui, c’est que l’Europe elle-même, la plus grande partie de l’Europe, n’est vraiment pas non plus dans un état des plus brillans ou des plus aisés. Tout est pour le moment dans une certaine atonie, dans un certain décousu. Les gouvernemens les plus puissans ne sont pas à l’abri des embarras.

Le cabinet anglais, malgré des succès peut-être plus apparens que réels, plus bruyans que décisifs, voit grandir devant lui une opposition à la tête de laquelle M. Gladstone vient de se replacer avec une verdeur nouvelle, avec des redoublemens d’activité éloquente, et d’un autre côté il se retrouve aux prises avec la question irlandaise aggravée. La Russie, à peine revenue de ses entreprises guerrières, bientôt suivies des mécomptes diplomatiques qui l’isolent et l’irritent, se sent plus que jamais livrée à ces mystérieuses agitations révolutionnaires qui viennent de se révéler encore une fois par un attentat nouveau. L’Allemagne elle-même, bien que saturée de succès, est assez embrouillée dans ses conflits de partis et de politiques contradictoires ; elle ne sait pas trop où veut la conduire son chancelier avec toute cette diplomatie tendue de toutes parts du fond de la silencieuse retraite de Varzin, et les conquêtes qui flattent l’orgueil n’empêchent pas l’effroyable misère qui sévit à Berlin. L’Autriche en est encore à apprendre ce qu’elle pourra gagner à ses occupations ou annexions de l’Herzégovine, de la Bosnie, et à ses intimités avec M. de Bismarck ; elle a pour le moment assez à faire d’obtenir de toutes ses assemblées le vote de la loi militaire, qui