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décider à repousser de prime abord une recherche qui flattait sa vanité féminine, tout en ne pouvant non plus se résoudre à renoncer au rang aristocratique qu’elle devait à son premier mariage pour devenir la femme d’un financier. Elle avait en conséquence ajourné sa réponse définitive au retour du séjour qu’elle comptait faire à Genève. Le prétendant, ainsi tenu en suspens, s’empressa, dès que Mme de Vermenoux fut arrivée à Paris, de venir s’informer de son sort. Ce fut donc comme aspirant à la main de Mme de Vermenoux que Suzanne Curchod vit pour la première fois M. Necker.


Je suis très contente de Necker (écrit-elle à Moultou) pour l’esprit et pour le caractère, et je suis bien trompée ou la dame le voit avec complaisance, mais on lui a fait haïr l’hymen, et quand je lui en ai parlé elle m’a répondu qu’on ne pouvoit être son amie et lui conseiller de se marier. Cependant si le personnage avoit autant de tact que d’esprit, je doute qu’elle persévérât dans sa résolution. Vous comprenez qu’elle m’a tout dit et que j’ai joué l’ignorante.


Cette lettre porte la date du mois de juillet 1764. Que se passa-t-il dans les mois suivans ? Fut-ce, ainsi que le dit dans ses Mémoires la baronne d’Oberkirch, fort malveillante, il est vrai, pour les Necker, Mme de Vermenoux elle-même qui conçut l’idée, pour se débarrasser de son adorateur, de lui faire épouser sa demoiselle de compagnie, en disant » « Ils s’ennuieront tant ensemble que cela leur fera une occupation. » Fut-ce au contraire les rebuts de la dame et les attraits de la jeune fille qui commencèrent à opérer ce changement auquel Mme de Vermenoux se serait ensuite prêtée ? Il y a là un de ces petits romans intimes sur lesquels il est toujours difficile de savoir exactement la vérité. Quoi qu’il en soit, une chose est certaine : c’est qu’au bout de quelques mois, la situation était bien changée. Dans une nouvelle lettre que Suzanne Curchod adresse à Moultou au commencement d’octobre, elle n’essaie point de lui dissimuler l’agitation que lui cause la recherche évidente de M. Necker, qui cependant venait de partir pour Genève sans s’être ouvertement déclaré. Après s’être excusée vis-à-vis de son ami d’avoir manqué de confiance en lui dans cette délicate conjoncture, elle poursuit en disant :


Mes soupçons ont été les vôtres, mais ils n’ont commencé que deux jours après le départ de M. N. et ils ont fini d’abord après. J’étois bien sûre que, s’ils avoient quelque fondement, ils ne vous échapperoient pas et que vous agiriés comme vous l’avés fait ; mais si au contraire ils étoient chymériques, quel ridicule ne me donné-je point auprès de vous, et peut-être quel chagrin ne vous causerois-je pas en voyant échouer cette affaire. Car, mon cher ami, il ne faut point nous