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La nouvelle que Suzanne Curchod allait épouser un riche banquier de Paris se répandit rapidement dans tout le pays qu’elle avait habité, depuis Lausanne jusqu’à Genève, et excita une joie générale. Le grand nombre et la cordialité des lettres que reçut la jeune fille montrent de quelle estime et de quelle affection elle était environnée dans son pays natal. Moultou se plaçait naturellement au premier rang par la chaleur de ses félicitations : « Je dépose, écrivait-il avec un grand plaisir, entre les mains de M. Necker la triste autorité de censeur que vous avés bien voulu me donner sur vous. » Dans ce concert, il n’y avait qu’une note discordante, c’était celle du malheureux avocat d’Yverdon, qui se plaignait d’avoir été si longtemps bercé d’une espérance trompeuse et d’avoir appris en même temps son malheur et le bonheur d’un autre. « Je m’aperçois aisément, lui écrivait-il avec assez de fondement, que vous ne me regardiés que comme un misérable pis-aller et que vous saisines avec empressement la première occasion qui se présenteroit de vous établir à Paris ou ailleurs. » Mais après avoir exhalé son premier ressentiment en termes assez amers, il terminait en disant :


Mais pourquoi troubler votre joie en rappelant le passé. Je vous pardonne très sincèrement, mademoiselle et ma plus chère amie, tous vos procédés et je prie mon Dieu de toute mon âme qu’il veuille verser à pleines mains ses plus précieuses bénédictions sur vous, sur monsieur votre cher époux, et sur toute votre postérité. Je vous supplie de ne pas m’oublier entièrement et de m’accorder une amitié qui soit exempte de tout caprice ; soyés persuadée que je m’estimerois infiniment heureux si j’avois occasion de vous donner des preuves de la mienne, qui ne finira qu’avec ma vie ; mais quand on a le bonheur d’épouser un homme qui a 35 mille livres de rente, on n’a plus besoin des secours de personne ; je le crois digne de vous posséder, puisque vous l’avez choisi ; jouissez donc du bonheur que le ciel vous prépare à l’un et à l’autre : Non equidem invideo, miror magis. Je suis, avec un profond respect,

Correvon.


En répondant à toutes ces lettres, les deux fiancés ne tarissaient pas l’un et l’autre en expressions enthousiastes sur leur bonheur. « J’épouse un homme (disait Suzanne Curchod dans une des lettres publiées par le comte Golowkin), que je croirais un ange, si l’attachement qu’il a pour moi ne prouvait sa faiblesse. » De son côté, M. Necker répondait aux félicitations de Moultou :


Oui, monsieur, votre amie a bien voulu de moi, et je me crois aussi