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heure charmante de la halte, que les Turcs ont d’ailleurs le bon goût d’abréger quand elle devient une fatigue pour l’étranger. C’est là, une fois pour toutes, le caractère de l’hospitalité chez les Turcs des campagnes, où la politesse a conservé des allures de courtoisie et parfois de réelle distinction. On. ne rencontre pas toujours la souriante figure d’Abdullah-bey ; mais dans les villages les plus humbles l’étranger est assuré de trouver un gîte à l’oda, où il sera hébergé par le maître de la maison. Le soir, à la veillée, ce seront les mêmes questions : « Que viennent faire ici les Franguis ? que peuvent leur faire les vieilles pierres écrites, dont ils sont si curieux ? viennent-ils chercher des trésors ? »


Dans le Tschâl Dagh, 19 mai.

Le dernier village grec auquel nous touchions avant d’entrer dans le massif du plateau lycien est le petit port de Güdjek, habité pendant une partie de l’année par des bûcherons grecs de Makry, de Rhodes, de Chypre et même de Karpathos. De misérables huttes de bois, des hangars, un café, et une boutique d’épicier ou bakal composent tout le village, qui reste désert pendant plusieurs mois de l’année. Sur tout le littoral, on trouve de ces établissemens provisoires des Grecs qui exploitent, moyennant une légère redevance, les riches forêts de la Lycie abandonnées par l’incurie du gouvernement ottoman à l’industrieuse activité des raïas. Les hameaux de Djouk-tché-Ovajik, et de It-Hissar sont les dernières stations que l’on rencontre avant de s’engager dans les montagnes. Les habitations deviennent rares ; à la végétation de la plaine et aux maigres cultures entourées d’enclos succèdent les pins, les érables, les arbousiers ; souvent des pierres calcinées, rangées en cercle au pied d’un sycomore, indiquent le lieu de la halte et marquent les étapes d’un trajet monotone, sous la lumière grise que laissent filtrer les aiguilles des pins. La route n’est plus que rarement égayée par la rencontre d’une caravane d’âniers ou de bergers turkomans. Au détour d’un sentier, nous apercevons des chevaux passant en liberté auprès de larges taches brunes disposées parallèlement sur le sol : ce sont des voyageurs qui font la sieste, couchés sous leurs couvertures, à la garde de la solitude et du désert. Plus loin, notre petite troupe est rejointe par un étrange habitant de ces montagnes : un mendiant infirme, déguenillé, le corps plié en deux, et marchant à quatre pattes, sort d’une fourré et s’offre à nous servir de guide ; ce quadrupède humain nous précède avec agilité, bondissant à travers les taillis, et laissant loin derrière lui nos chevaux épuisés. Cet être à demi sauvage vit des charités que lui font les voyageurs. Si l’on se plaisait aux antithèses, quel ingénieux et triste rapprochement ne pourrait-on pas faire entre ces magnifiques