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de la guitare et du tambourin. La danse ressemble fort peu au choro des provinces de la Grèce propre. Les danseuses viennent à tour de rôle, isolément, exécuter une série de mouvemens rythmés qui ne sont pas sans grâce. Chacune d’elles s’avance ou plutôt glisse sur le parquet à très petits pas, après des résistances feintes qui sont le prélude obligé de la danse ; les bras étendus au-dessus de la tête, elle fait le geste des joueuses de crotales antiques ; puis, déployant les bras, elle simule tous les mouvemens d’une filleuse qui étire le fil. La tête est rejetée en arrière, le buste tendu ; et, pendant que la danseuse semble piétiner sur place, tout son corps ondule et se dessine sous l’étoffe d’une étroite tunique sans plis.

La journée se termine par un échange de cadeaux. La jeune femme fait le tour de la salle, baise la main de chacun des assistans et lui offre un cadeau ; en retour elle reçoit une pièce de monnaie. Les dons ont souvent un caractère d’utilité pratique : une vieille femme reçoit un bassin de métal, une autre un pantalon de soie vert pomme qui paraît la flatter beaucoup, car elle disparaît un instant pour revenir parée de cet objet de toilette. Les domestiques eux-mêmes ont leur part dans cette distribution de cadeaux, et leur jeune maîtresse leur baise la main. En réalité, cet acte de servage par lequel les Anatoliennes débutent dans la vie d’intérieur est un symbole assez exact de leur condition. La femme grecque, dans l’Anatolie, est la première servante de son mari. Elle n’est pas voilée ; c’est presque la seule différence qui la distingue de la femme turque. Dans toutes les maisons grecques, les femmes travaillent dans le grand vestibule qui sert de parloir, tandis que les hommes fument et causent sur une sorte d’estrade garnie de divans. Il n’est pas rare qu’elles ignorent le grec, qui est pour leur mari la langue des affaires et des conversations politiques ; on ne se dorme pas la peine de la leur apprendre. Il est vrai de dire que cette situation tend à s’améliorer. Dans les villes de la côte, à Adalia par exemple, les mœurs sont en progrès sur ce point, et l’opinion y est assez sévère pour les Grecques de l’intérieur.


Isbarta, 31 mai.

Le départ d’un khan est toujours chose pittoresque. Nous avons tout le loisir de contempler le spectacle animé de la cour du khan en attendant notre zaptié d’escorte. Les zaptiés de Bouldour ont leurs chevaux au vert à deux heures de la ville : on juge de la rapidité avec laquelle ils peuvent accomplir un service pressé, commandé d’urgence. La route de Bouldour à Isbarta traverse un pays d’aspect morne, semé de mamelons marneux ; on ne rencontre que de rares villages : Buy-Duz ; le konak d’Achmed-Pacha, ancienne résidence d’été d’un haut dignitaire, aujourd’hui en ruines ; enfin