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publique a donc parfaitement raison. Sa loi porterait un coup très sensible aux congrégations non autorisées.

Il est également dans le vrai lorsqu’il refuse de croire à je ne sais quels travestissemens dont quelques personnes ont pensé que les jésuites notamment pourraient bien s’accommoder. La société de Jésus ne s’est jamais transformée : elle est comme elle est ou elle n’est pas. Mais où M. Jules Ferry se trompe, c’est lorsqu’il conclut de là que sa loi fera reculer l’esprit jésuitique en France, et que l’université, c’est-à-dire l’esprit laïque, en sera fortifié. La force peut primer le droit ; elle ne tue pas l’idée. Considérez ce qui se passe à Paris et dans la plupart de nos grandes villes : les municipalités, pour faire chorus avec le gouvernement, ont entrepris de substituer l’enseignement laïque à l’enseignement congréganiste ; elles ont déclaré la guerre, une guerre impitoyable à ces frères de la doctrine chrétienne, qui depuis deux siècles apprennent l’écriture et le catéchisme aux fils de nos ouvriers. Alors qu’ont fait les populations ? Elles ont suivi les frères dans les écoles libres qu’ils ont fondées, partout où l’école publique leur avait été retirée ; et du jour au lendemain, tous leurs petits enfans leur sont revenus. Il en irait de même des seize mille jeunes gens que vise l’article 7. Les uns, les plus riches, suivraient leurs maîtres en exil ; les autres iraient demander asile aux petits séminaires, beaucoup resteraient dans leurs anciennes maisons presque aussitôt rouvertes que fermées et continueraient leur éducation sous des maîtres laïques de fait, jésuites de tendances et d’idées. Quelques-uns à peine passeraient à l’Université. Voilà tout le bénéfice que l’état retirerait du vote de l’article 7[1].

  1. M. le ministre de l’instruction publique n’est pas de cet avis ; il pense qu’un grand nombre d’élèves des jésuites, des dominicains, des maristes, etc. passeront dans nos lycées, où il assure que la place ne leur manquera pas. En effet, d’après les renseignemens fournis par les recteurs, nos établissemens d’enseignement secondaire pourraient encore recevoir, sans constructions nouvelles, 29,000 jeunes gens. Or l’article 7 n’en atteindrait que 16,000, qui, répartis entre nos 335 collèges ou lycées, font une moyenne de 43 élèves par établissement, soit de cinq ou six élèves par classe. Conclusion : il ne faudrait ni une maison, ni un professeur de plus pour loger et pour instruire les 16,000 jeunes gens qui sont actuellement dans les mains des congrégations non autorisées.
    L’argument nous parait médiocre ; pour qu’il eût quelque valeur, il faudrait supposer que les familles des seize mille jeunes gens en question consentiraient à placer leurs enfans dans les maisons que leur désignerait l’administration. Or cela n’est guère admissible. Si l’article 7 était voté, les familles qui se décideraient à confier leurs enfans à l’Université choisiraient naturellement les meilleurs établissemens, ceux qui ont le plus de vogue et de réputation. A Paris, par exemple, ceux de ces jeunes gens qui se destinent à Saint-Cyr iraient de préférence à Saint-Louis, où la classe de mathématiques élémentaires comptait déjà l’an dernier plus de cent élèves. Il n’est donc pas exact de dire qu’il ne faudrait pas un professeur de plus pour que nos collèges fassent en état de recevoir tous les jeunes gens atteints par l’article 7. A moins de traiter ces jeunes gens comme des colis et de les expédier dans toutes les directions, il faudrait nécessairement créer et de nouvelles chaires et de nouvelles maisons pour les admettre. Qui ne sait d’ailleurs que les classes de nos grands lycées sont déjà beaucoup trop nombreuses ?