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de l’égalité mal entendue n’est pas un dogme auquel il convienne de sacrifier l’avenir d’une nation. Heureux les pays où l’on se contente quelquefois de soutenir que 3 + 2 ne font pas 4, et dans lesquels les chefs d’opposition se sentent responsables de leurs paroles, comme les gouvernemens sont responsables de leurs actes ! Les politiques à formules creuses font l’œuvre de Cadmus, et il en est de certaines paroles comme des dents du dragon. Cette graine féconde germe, et Cadmus épouvanté voit sortir de terre des idées en armes qui s’entretuent.

L’idéal du parlementarisme et du bon sens serait qu’il n’y eût dans un pays que deux partis, que ces deux partis se missent d’accord pour’ ne pas traiter plus d’une question à la fois, qu’ils s’accordassent aussi à reconnaître que le rôle d’un parlement est de tout contrôler, mais qu’il ne doit pas se piquer de gouverner. Il y a dans tout parti des audacieux, des gens pressés, qui aiment à marcher vite, et des hommes circonspects qui tiennent à savoir où ils mettent le pied ; s’ils étaient raisonnables, ils s’entendraient tous à marcher du même pas, car la transaction est le fond de la vie politique. S’ils écoutaient les conseils du bon sens, ils s’arrangeraient aussi pour ne pas aborder en même temps toutes les questions ; la sagesse des nations nous enseigne que qui trop embrasse mal étreint. Ils reconnaîtraient enfin d’un commun accord qu’il est inutile d’avoir un gouvernement quand on ne lui permet pas de gouverner. A chacun sa besogne, ceux qui votent les lois ne sont pas chargés de les faire exécuter ; il y a un proverbe qui dit qu’on ne peut sonner les cloches et aller à la procession.

L’Angleterre et la Belgique sont aujourd’hui les seuls pays parlementaires qui aient le bonheur de n’avoir que deux partis. Les radicaux belges avaient menacé le cabinet libéral de lui fausser compagnie, s’il s’obstinait à ne pas rappeler son ministre accrédité auprès du saint-siège ; les radicaux belges se sont ravisés, la scission ne se fera pas. Partout ailleurs la politique de transaction a été remplacée par la politique des tiraillemens. Les partis se divisent en plusieurs groupes, qui ont pris l’habitude de traiter entre eux de puissance à puissance ? chacun de ces groupes a son programme, son mot d’ordre, ses engagemens particuliers, ses chefs, ses caudillos, son avant-garde et sa queue, ses opportunistes et ses fous. Faire un cabinet dans de telles conditions devient un travail infiniment ardu, un vrai casse-tête chinois. Il n’y a plus de majorité, chaque caudillo se croit en droit de dire : « La majorité, c’est moi, et il y va du salut public que je sois ministre. » Le moyen de satisfaire tout le monde ? En peu de temps, la gauche italienne, qui possédait les quatre cinquièmes des voix dans le parlement, a usé et couché sur le carreau six cabinets composés d’hommes de son choix. À cette heure, MM. Cairoli et Depretis sont nantis, mais MM. Crispi et Nicotera ne le sont pas, et le ministère branle au manche. Quand un