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graduelle des esclaves et de modifier le régime commercial de la colonie de façon à ménager les intérêts industriels de la métropole. C’est ici cependant que la crise s’est envenimée par degrés.

D’un côté, ce retour peut-être habilement préparé de M. Canovas del Castillo a été le signal d’une vive opposition qui s’est groupée autour du général Martinez Campos, qui a pour elle quelques généraux, les représentans des Antilles, tous les adversaires du nouveau président du conseil. D’un autre côté, il faut bien avouer que la première apparition du ministère reconstitué dans les chambres a été marquée par une scène aussi fâcheuse que singulière. Des explications ont été demandées au cabinet ; le président du conseil a répondu d’abord, puis il s’est impatienté, et dans un mouvement d’irritation il est parti brusquement avec ses collègues, prétextant qu’il avait à se rendre au sénat pour répondre à une interpellation. Cette sortie soudaine représentée comme une offense a provoqué aussitôt une explosion passionnée, et depuis ce moment la minorité de la chambre des députés, à laquelle s’est jointe la minorité du sénat, a pris la résolution de ne plus paraître aux séances du parlement. Il y a eu quelques tentatives de conciliation qui n’ont pas réussi, et comme si ce n’était pas assez, tous ces incidens ont assez malheureusement coïncidé avec un projet de manifestation sympathique de la ville de Madrid pour la France à l’occasion des secours envoyés de Paris aux inondés de Murcie. Le gouvernement, un peu troublé, a-t-il craint que cette manifestation fût dénaturée ou exploitée par les passions hostiles ? Toujours est-il que le jour où elle a eu lieu, on a pris des mesures défensives, et le monde officiel s’est abstenu de prendre part à la fête. Bien entendu, dans tout cela la France n’est pour rien, si ce n’est par les secours qu’elle a envoyés, et notre représentant, M. l’amiral Jaurès, s’est conduit avec autant de tact que de prudence soit vis-à-vis du gouvernement, soit vis-à-vis de ceux qui ont voulu donner une marque de sympathie à notre pays. La France n’a point à se mêler des affaires politiques de l’Espagne. Ce qui est certain, c’est que toutes ces circonstances ont contribué à créer une situation singulièrement critique, même pour un homme aussi habile que M. Canovas del Castillo ! La question se retrouvera dans toute sa gravité à la rentrée prochaine du parlement, qui est aujourd’hui en vacances. C’est une crise ouverte où la fermeté d’un chef de ministère peut beaucoup sans doute pour contenir les effervescences d’un moment, mais où son prudent libéralisme peut encore plus peut-être pour adoucir les divisions, pour rallier toutes les forces régulières autour de la jeune monarchie constitutionnelle de l’Espagne.

CH. DE MAZADE.