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déchéances, tous les dons de délicatesse, d’élection et de malheur s’unissaient pour la torturer. »

Sentir, penser, ne pas vouloir, voilà les trois misères au milieu desquelles se débattent les pauvres hystériques.

Un auteur, bien connu des lecteurs de la Revue[1], dépeint ainsi les symptômes de l’hystérie : « Elle était prise d’accès de tristesse auxquels succédaient de violentes crises de larmes ou des éclats de rire immodérés ; souvent, un tremblement la secouait du haut en bas ; alors elle devenait toute pâle et sa poitrine s’oppressait. Son caractère subissait peu à peu de profonds changemens. On dut renoncer à la conduire dans le monde, tant ses allures trop libres effrayaient. »

Mais de toutes les hystériques dont les romanciers ont raconté l’histoire, la plus vivante, la plus vraie, la plus passionnée, c’est Mme Bovary. — Élevée au couvent, au milieu de jeunes filles plus riches qu’elle, elle épouse un humble médecin de campagne, un pauvre garçon imbécile, dont la rusticité et la pauvreté l’écœurent. En quelques lignes M. Flaubert caractérise l’hystérie, et dans sa description précise et séduisante on ne sait trop s’il faut admirer plus le talent de l’artiste ou la science de l’observateur. « Emma devenait difficile, capricieuse ; elle se commandait des plats pour elle, et n’y touchait point ; un jour, ne buvait que du lait pur, et, le lendemain, des tasses de café à la douzaine. Souvent elle s’obstinait à ne pas sortir, puis elle suffoquait, ouvrait les fenêtres, s’habillait en robe légère… Elle ne cachait plus son mépris pour rien ni pour personne, et elle se mettait quelquefois à exprimer des opinions singulières, blâmant ce qu’on approuvait, et approuvant des choses perverses ou immorales. Est-ce que cette misère durerait toujours ? Est-ce qu’elle n’en sortirait pas ? Elle valait bien cependant toutes celles qui vivaient heureuses, et elle exécrait l’injustice de Dieu. Elle s’appuyait la tête aux murs pour pleurer ; elle enviait les existences tumultueuses, les nuits masquées, les insolens plaisirs avec tous les éperdûmens qu’elle ne connaissait pas et qu’ils devaient donner… Elle pâlissait et avait des battemens de cœur… En de certains jours elle bavardait avec une abondance fébrile ; à ces exaltations succédaient tout à coup des torpeurs où elle restait sans parler, sans bouger… Elle s’acheta un prie-Dieu gothique et elle dépensa en un mois pour quatorze francs de citrons à se nettoyer les ongles : elle choisit chez Lheureux la plus belle de ses écharpes ; elle se la nouait à la taille par-dessus sa robe de chambre, et, les volets fermés, avec un livre à la main, elle restait étendue sur un canapé dans cet accoutrement. Elle voulut apprendre l’italien, elle acheta des dictionnaires, une grammaire, une provision de papier blanc.

  1. Albert Delpit : le Mariage d’Odette.