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Les hystériques de la Salpêtrière peuvent aussi, et très facilement, être endormies. Il suffit pour provoquer l’accès somnambulique d’une excitation forte des sens, comme par exemple l’éclat de la lumière électrique, ou le bruit métallique, strident, produit par la percussion brusque du tam-tam ou gong chinois. Alors aussitôt le sommeil survient, et cela avec une telle rapidité qu’elles ne conservent pas même le souvenir de l’excitation violente qui a anéanti pour un temps la conscience de leur existence. Si, pendant que les différentes malades sont réunies dans une des cours de l’hôpital, on fait résonner le gong, aussitôt la plupart d’entre elles s’arrêteront brusquement, les yeux ouverts et les membres placés dans une attitude qui exprimera la stupéfaction mêlée d’effroi. Cet état de sommeil, provoqué par une excitation violente, n’est pas tout à fait identique au somnambulisme qu’on produit avec des passes. Le sommeil est plus profond, plus brutal, plus pathologique, pour ainsi dire ; le système nerveux et le système musculaire sont plus gravement troublés dans leurs fonctions. L’insensibilité est complète. Pendant plusieurs heures, si on ne réveille pas la malade, elle reste anéantie dans un sommeil sans rêve. Si les yeux sont ouverts, il y a de la catalepsie, c’est-à-dire que les muscles gardent indéfiniment la position qui leur a été donnée ; par exemple, si le bras a été levé en l’air et placé dans une position invraisemblable, indéfiniment, sans qu’il y ait apparence de fatigue, le bras restera élevé, gardant l’attitude bizarre qu’on lui aura infligée. Au contraire, si les yeux sont fermés, on constate d’autres phénomènes. Les nerfs sont devenus extrêmement excitables. Il suffit de mettre le doigt sur le trajet d’un nerf pour faire contracter les muscles auxquels ce nerf va donner le mouvement. Les muscles eux-mêmes ont une excitabilité extrême ; il suffit de les toucher pour provoquer leur contraction et même leur contracture. Si l’on insiste, la contracture devient très intense : ainsi les doigts se fléchissent avec force dans la main et l’avant-bras sur le bras. Que si alors on réveille la malade, sans avoir pris soin de relâcher sa contracture, cette contracture persistera pendant longtemps, car il sera presque impossible de la faire cesser sans recourir à un nouvel accès de somnambulisme.

Les symptômes de cette étrange maladie ne se voient pas seulement chez les femmes et les hystériques ; on les observe aussi, quoique plus rarement, chez les jeunes gens et les hommes âgés ; et non seulement ils apparaissent quand on les provoque, mais quelquefois ils se développent spontanément, sans qu’on cherche à les faire naître. Le somnambulisme naturel, qui a tant excité la curiosité des médecins d’autrefois, est maintenant une affection bien décrite.