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On en cite tous les jours de nouveaux exemples. Les somnambules, au milieu de la nuit, se lèvent, s’habillent, font mine de sortir pour vaquer à leurs affaires. Leurs yeux sont fermés, quelquefois grands ouverts ; mais il n’y a pas de vision proprement dite. La vision est tout intérieure, si bien que, sans lumière, les somnambules se dirigent à travers les meubles épars dans la chambre. La mémoire est le guide fidèle de leurs mouvemens. Ils lisent mentalement le livre qu’ils ouvrent, et accomplissent telles actions qu’ils feraient étant éveillés, comme, par exemple, de nager, de courir, d’écrire, de faire des armes. Que si on les réveille subitement, ils sont stupéfaits de se voir debout et habillés, alors qu’ils s’imaginaient reposer tranquillement dans leur lit. Au lieu de rechercher le merveilleux de ces phénomènes, ne vaut-il pas mieux constater qu’ils ressemblent à ceux qu’on observe dans le sommeil ordinaire ? La mère, penchée au chevet de son enfant malade, peut, par ses caresses et ses douces paroles, calmer l’esprit agité par les visions terrifiantes du cauchemar, si bien que l’enfant, sans se réveiller, dort plus calme. Souvent, lorsque nous sommes à demi réveillés, à demi-endormis, comme le soir par exemple, quand le sommeil nous accable, ou le matin, quand il ne nous a pas quittés tout à fait, nous agissons, nous parlons, sans nous rendre bien compte de nos actes et de nos paroles. C’est un léger degré de somnambulisme, et, pour peu qu’on s’étudie soi-même avec quelque soin, on reconnaîtra qu’au commencement ou à la fin du sommeil la conscience complète, exacte, de nos actions ou de nos pensées nous échappe. Il y a donc une série de transitions insensibles entre le sommeil commun, banal, de tout le monde, et le sommeil bizarre, étrange en apparence plus qu’en réalité, des somnambules et des hystériques. Quoiqu’il y ait là toute une série de faits positifs, démontrés et faciles à vérifier, il se trouve encore un certain nombre de médecins qui n’en admettent pas la réalité, et qui, au seul mot de somnambulisme, se contentent de sourire comme s’il ne s’agissait que d’une colossale déception. Pour eux, tous les cas de sommeil ne sont que des comédies jouées avec talent devant des gens trop naïfs par des femmes nerveuses et fanatiques de fourberie. S’ils pensent ainsi, c’est qu’ils se sont contentés d’assister aux scènes acrobatiques que les magnétiseurs et les somnambules de profession offrent en spectacle à la crédulité du public. Mais s’ils avaient observé par eux-mêmes, s’ils avaient touché de leurs mains et vu de leurs yeux ces phénomènes dont ils nient l’existence, ils tiendraient, je n’en doute pas, un tout autre langage. Est-il possible de supposer que depuis cent ans, pour se conformer aux fantaisies du petit paysan Victor, le premier malade du marquis de Puységur, tous les somnambules qui sont venus ensuite ont simulé les mêmes