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régime économique moins libéral et l’établissement, sur la plupart des produits de la terre, de droits protecteurs qu’ils appelèrent compensateurs, pour en masquer le caractère aux yeux de l’opinion.

Le gouvernement s’émut de cette agitation et, sans cependant se dissimuler ce qu’elle avait de factice, il voulut s’éclairer sur les causes réelles de la crise. A cet effet, il s’adressa à la Société nationale d’agriculture de France et lui demanda d’examiner quelle était, avant 1860, et quelle est aujourd’hui la situation agricole de la France sous le rapport de la division de la propriété, des progrès de la culture, de l’outillage, des frais de transport, des débouchés et de la main-d’œuvre. Il désirait savoir quelle influence les traités de commerce ont pu avoir sur cette situation et par quels moyens il lui serait possible d’atténuer les souffrances très réelles de la première de nos industries nationales. Il ne pouvait s’adresser à une autorité plus compétente et plus désintéressée. Composée d’hommes qui, soit comme praticiens, soit comme savans, jouissent d’une notoriété incontestée en matière agricole, cette société est une véritable académie qui, tout en n’ayant en vue que la prospérité de notre agriculture, se place à un point de vue assez élevé pour ne pas se laisser entraîner par les intérêts du moment. Elle a adressé le questionnaire du ministre à ses correspondans, répandus sur tous les points du territoire, et provoqué ainsi une véritable enquête à laquelle ont pris part les hommes les plus compétens. C’est le tableau de la situation agricole de la France, telle qu’elle résulte suivant nous de cette enquête, que nous allons tracer dans cette étude.


I

Sous le rapport des dons naturels, il n’est peut-être pas de contrée au monde mieux partagée que la France, qui, située dans la zone tempérée, présente des climats et des sols très variés et se prête aux cultures les plus diverses. Nous ne recommencerons pas la description agricole de ce beau pays, car le livre de M. de Lavergne[1], quoique datant de vingt années, est resté vrai dans ses caractères principaux ; nous nous bornerons à en esquisser à grands traits les diverses régions pour pouvoir apprécier les changemens qui y sont survenus depuis cette époque. Dans la statistique qu’il a publiée à l’occasion de l’exposition de Vienne, M. Gustave Heuzé, inspecteur général d’agriculture, divise la- France en neuf régions distinctes : la région du nord-est, celle du nord-ouest, celle des plaines du nord, celle des plaines du centre, celle de l’ouest, celle

  1. L’Économie rurale de la France, 1 vol. ; Guillaumin, 1860.