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demande la permission de marcher sans beaucoup d’ordre au milieu de cette richesse touffue et de me laisser conduire, pour ainsi parler, au fil de mes souvenirs.

La nouvelle édition est surtout riche de notes historiques et biographiques. D’ordinaire Saint-Simon se contente de dire quelques mots sur les personnages qu’il rencontre devant lui. M. de Boislisle achève de nous les faire connaître. Il expose rapidement leur origine, leurs alliances, les fonctions qu’ils ont remplies, le jugement que les contemporains portaient sur eux[1]. Ces détails n’ont pas seulement l’avantage de satisfaire notre curiosité, ils nous rendent les récits de Saint-Simon plus vivans. Quelques exemples suffiront pour le faire voir. Dans cette première partie des Mémoires, il est plusieurs fois question de l’évêque de Noyon, M. de Clermont-Tonnerre ; c’était un personnage célèbre par ses ridicules et dont on riait volontiers à la cour, mais qui s’était acquis une certaine faveur auprès du roi, qui s’amusait de sa vanité. Saint-Simon, qui le visita au retour d’une de ses campagnes, profite de l’occasion pour nous dépeindre la maison qu’il habitait. « Elle était remplie de ses armes, jusqu’au plafond et aux planchers, de manteaux de comte et pair dans tous les lambris ; des clefs partout qui sont ses armes, jusque sur le tabernacle de sa chapelle ; ses armes sur sa cheminée, en tableau, avec tout ce qui se peut imaginer d’ornemens, tiare, armures, chapeaux ; dans sa galerie, une carte que j’aurais prise pour un concile, sans deux religieuses aux deux bouts : c’étaient les saints et les saintes de sa maison, et deux autres grandes cartes généalogiques avec ce titre de Descente de la très auguste maison de Clermont-Tonnerre des empereurs d’Orient et à l’autre, des empereurs d’Occident. » M. de Boislisle, dans ses notes, ajoute quelques traits à cette amusante peinture ; il les tire d’un ouvrage que l’évêque fit paraître sous un nom d’emprunt pour célébrer la gloire de sa famille ; il se l’était dédié, et se disait à lui-même, en le commençant ; « Vous êtes encore plus riche de votre fonds que des titres que vous ont laissés vos ancêtres. » Voilà le personnage tout à fait connu ; cette pleine lumière répandue sur lui rend plus piquant pour nous le récit d’un accident désagréable dont il fut victime et que Saint-Simon est fort heureux de nous raconter. « Il vaqua, nous dit-il, une place à l’Académie française, et le roi voulut qu’il en fût. SI ordonna même à Dangeau, qui en était, de s’en expliquer de sa part aux académiciens. Cela n’était jamais arrivé, et Monsieur de Noyon, qui se piquait de savoir, en fut comblé, et ne vit pas que le roi se voulait divertir. On peut

  1. Les deux volumes de M. de Boislisle ne contiennent pas moins de neuf cents notices sur l’es personnes dont parle Saint-Simon.