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n’eût jamais trouvé de semblable simulacre. Une assemblée de six mille personnes se réunissant sans laisser de traces serait un phénomène bien merveilleux. N’est-il pas plus simple de croire à l’aberration de toute une population craintive et ignorante ? La question reste donc tout entière de savoir si le sabbat a existé, ou si c’est une hallucination cent mille fois répétée. C’est aux historiens à élucider ce problème, et il ne paraît pas que l’on ait encore donné des preuves bien fortes permettant d’affirmer qu’il y a eu ou qu’il n’y a pas eu de sabbat.

Quoi qu’il en soit, laissons cette question ténébreuse du sabbat. Aussi bien les croyances superstitieuses ne nous feront pas défaut. Une des plus importantes, et sur laquelle, pour des motifs que l’on comprendra, il nous est interdit d’insister, est relative à l’union du diable avec les sorcières. Dans ce cas, le diable est un incube. L’esprit malin peut aussi, sous la forme d’une femme, jeune ou vieille, laide ou belle, s’unir au sorcier. Alors le diable est succube. Pendant tout le XVIe et tout le XVIIe siècle, succubes, incubes surtout, foisonnent, et il n’y a pas de sorcière qui n’avoue ses relations avec le diable. Quant à savoir si le diable peut être père, c’est un des problèmes les plus discutés. L’opinion la plus commune, c’est qu’il est père indirectement, en passant de l’état de succube à l’état d’incube. Les cérémonies infâmes, qui étaient racontées comme propres au sabbat, ont fait croire à Michelet et à d’autres auteurs encore que le sabbat était un rendez-vous de débauche. Combien n’est-il pas plus vraisemblable que les aveux des sorcières sont dus aux hallucinations qui les hantaient, à des visions de nature érotique, telles qu’on en constate aujourd’hui encore de si fréquens exemples ?

La puissance des mauvais anges est infinie. Il suffit, pour que le diable ou un démon d’ordre inférieur s’empare du corps d’un malheureux, qu’il ait commis un oubli, une négligence d’un instant. Ainsi une religieuse ayant oublié de dire son Benedicite en mangeant de la laitue, un diable, qui s’était caché dans cette laitue, s’empara d’elle et pendant longtemps l’agita de convulsions terribles, jusqu’à ce qu’enfin l’évêque, pris de pitié, l’eut triomphalement exorcisée. Un brave homme, nommé Pierre, ayant négligé en se couchant de faire le signe de la croix, se réveille au milieu de la nuit, croyant que le matin est arrivé, et, pensant être sur un terrain uni, se précipite du haut de son escalier, au bout duquel il arriva à demi mort à la grande stupéfaction de tous. N’est-il pas certain que le diable était l’auteur de cette malheureuse illusion ? Tout ce qui se fait de peu ordinaire ou même de très ordinaire est attribué au mauvais esprit. Luther y croyait plus que quiconque.