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Il raconte ses dialogues avec l’esprit malin, qui pendant la nuit cassait les vitres et remuait des sacs de noix sous son lit. Lorsqu’il composait ses ouvrages, Luther avait fort à faire à répondre aux argumens que Satan lui objectait. Une fois, emporté par la colère, il prit son encrier et le jeta contre le diable avec tant de force que l’encre alla tacher le mur. On voit encore maintenant, dit M. Louandre, la tache d’encre faite par Luther dans sa lutte contre le mauvais ange. Elle se trouve dans la petite chambre de Wartbourg où il travaillait. Le diable, dit quelque part Luther, est un maître redoutable, qui a dans sa sacoche plus de poisons que tous les apothicaires du monde. D’ailleurs, suivant Del Rio et Sprenger, l’apôtre de la réforme avait bien le droit de causer avec le diable, étant lui-même le fils d’une sorcière et d’un démon[1]. Savonarole, lorsqu’il était sur le point de dormir, entendait le diable qui l’appelait par son nom, mais en changeant chaque fois la prononciation. Érasme, un grand esprit cependant, s’imaginait tenir des démons en prenant des puces : il admet qu’une ville tout entière a été brûlée par les démons. Mélanchthon rapporte que, lorsque certaines démoniaques arrachaient les poils du vêtement de quelque personnage que ce fût, ces poils étaient incontinent changés en pièces de monnaie du pays. Michel Servet pensait que dans les ventricules du cerveau Satan était logé et y promenait sa fantaisie. Toutes les fois qu’un phénomène bizarre ou inexpliqué se produisait, aussitôt on y voyait l’action du diable. Un jour qu’Ignace de Loyola faisait des études grammaticales sur les déclinaisons des noms et des verbes, les idées affluaient si rapidement à son esprit qu’il ne pouvait rien apprendre ni rien retenir, et malgré toute l’attention qu’il apportait à ce travail, il lui était impossible de chasser les pensées confuses qui l’envahissaient ou de fixer ses idées sur un point précis. « Je reconnais, s’écria-t-il alors, je reconnais les ruses de notre odieux ennemi, la perfidie et l’astuce du Malin. » — « Je sais un personnage, dit Bodin, lequel me découvrit qu’il était fort en peine d’un esprit qui le suivait et se présentait à lui en plusieurs formes, et la nuit le tirait par le nez, et l’éveillait, et souvent le battait, et, quoiqu’il le priât de le laisser reposer, il n’en voulait rien faire et le tourmentait sans cesse, lui disant : Commande-moi quelque chose. »

D’autres exemples montreront bien quelle foi absolue, aveugle, on donnait à la puissance diabolique. Un jour, dit Sprenger, un homme fut changé en âne par une sorcière. Pendant trois ans on fit porter au malheureux jeune homme les plus lourds fardeaux. Enfin, au bout de ce temps, passant devant une église, au moment

  1. Les caricatures du temps en font foi.