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« La noirceur et les fumées diaboliques m’obsèdent et m’obscurcissent ; une ombre pestilentielle se répand sur tous mes sentimens, et m’empêche de dire telles paroles et faire telles actions qu’il convient. De vrai, ce diable n’entre pas dans l’homme comme diable, mais comme fumée diabolique. Car si c’était le diable lui-même, aussitôt tous les membres seraient réduits en poudre et dispersés par le vent, ainsi qu’il appert de la nature spirituelle du prince des ténèbres, mais Satan se sert du corps de l’homme comme d’une fenêtre, et vocifère par cette fenêtre, et meut tous les membres à des actions mauvaises, incongrues et véritablement diaboliques. » Elle conclut donc en admettant que ce n’est pas le diable lui-même, mais seulement la vapeur méphitique du diable, qui pénètre dans l’homme.

Cependant les exorcistes sont plus précis en général ; ils admettent plusieurs causes pour lesquelles le démon entre dans le corps, la crainte, la colère, le maléfice et les maladies de l’imagination. Quelquefois il y a un seul démon, quelquefois il y en a plusieurs, rarement toute une légion, c’est-à-dire six mille six cent soixante-six diables. Ces misérables se logent dans le cœur, parfois dans les reins, le cerveau, le poumon, la gorge, l’oreille : ils s’installent aux endroits qu’ils ont choisis, et font du corps humain leur résidence. Le démon profite de la langue du possédé pour proférer toutes sortes d’injures et de blasphèmes ; de ses bras pour s’agiter, se mouvoir en tous sens, de ses jambes pour faire des bonds étranges et des sauts capricieux. C’est aussi le propre du démon de parler plusieurs langues et indifféremment le grec, le latin, l’hébreu, voire même l’iroquois et les autres dialectes peu connus. De fait, dans le délire hystérique, l’intelligence étant surexcitée, il peut y avoir, par suite de souvenirs inconsciens, des réminiscences inconnues. Tous les aliénistes ont observé des faits analogues. Cela n’avait pas échappé aux médecins du XVIe siècle. « Ceux qui ont fréquenté les malades et les fréquentent journellement trouveront vraisemblable qu’on peut parler langage étrange, comme grec, latin, allemand, hébreu, encore qu’on ne soit possédé d’aucun malin esprit. Cela peut procéder des humeurs si véhémentes que sitôt qu’elles sont enflammées, la fumée d’icelles étant montée au cerveau, fait parler un langage étrange comme nous voyons aux ivrognes » (Louys Guyon cité par Simon Goulard). Un si grand bon sens était rare, et on resta convaincu jusque au milieu du XVIIe siècle que lorsque un malade dans son délire parlait en un langage étranger, c’était le démon qui se servait de la langue du malheureux possédé.

L’approche de l’huile sainte ou d’un objet sacré fait hurler et vociférer les diables ; ce sont des scènes de cette nature que représentent souvent les tableaux des maîtres italiens des XVe et XVIe siècles.