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le commerce anglais trouve tout le continent fermé, et que ces ennemis des nations soient mis hors du droit commun. Il est des peuples qui ne savent que se plaindre ; il faut savoir souffrir avec courage, prendre tous les moyens de nuire à l’ennemi commun, et l’obliger à reconnaître les principes qui dirigent toutes les nations du continent. Si la Hollande avait pris ses mesures depuis le blocus, peut-être l’Angleterre aurait déjà fait la paix. »

Une autre fois, on s’efforçait de flétrir aux yeux de tous ce qu’on appelait l’envahissement de nos libertés continentales. Le gouvernement anglais se voyait comparé dans sa politique, à Marat. « Qu’est-ce que celui-ci a fait de plus atroce ? disait-on. C’est de présenter au monde le spectacle d’une guerre perpétuelle. Les meneurs oligarques qui dirigent la politique anglaise finiront comme tous les hommes furibonds et exagérés : ils seront l’opprobre de leur pays et la haine des nations. »

Quand l’empereur dictait de pareilles injures contre le gouvernement oligarchique, il caressait à son profit les idées démocratiques qu’il savait bien exister sourdement dans la nation. En se servant de quelques-unes de nos phrases révolutionnaires, il croyait satisfaire suffisamment les opinions qui les avaient inspirées. L’égalité, rien que l’égalité, voilà quel était son mot de ralliement entre la révolution et lui. Il n’en craignait point les suites pour lui-même ; il savait qu’il excitait ces vanités qui peuvent fausser les dispositions les plus généreuses, il détournait de la liberté comme je l’ai dit souvent, il étourdissait tous les partis, dénaturait toutes les paroles, effarouchait la raison. Quelque force que lui donnât son glaive, il le soutenait encore par le secours des sophismes, et prouvait que c’était en connaissance de cause qu’il déviait de la marche indiquée par le mouvement des idées, en s’aidant encore de la puissance de la parole pour nous égarer. Ce qui fait de Bonaparte un des hommes les plus supérieurs qui aient existé, ce qui le met à part, en tête de tous les puissans appelés à régir les autres hommes, c’est qu’il a parfaitement connu son temps, et qu’il l’a toujours combattu. C’est volontairement qu’il a choisi une route difficile, et contraire à son époque. Il ne le cachait point ; il disait souvent que lui seul arrêtait la révolution, qu’après lui elle reprendrait sa marche. Il s’allia avec elle pour l’opprimer, mais il présuma trop de sa force. Habile à reprendre ses avantages, elle a su enfin le vaincre et le repousser.

Les Anglais, à cette époque, alarmés de la condescendance avec laquelle le tzar, encore plus séduit que vaincu, abondait dans le système de l’empereur, attentifs aux troubles qui commençaient à se manifester en Suède, inquiets du dévoûment que nous témoignait le Danemark, et qui devait leur fermer le détroit du Sund,