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L’empereur en rit aussi, pour plus tard en prendre un peu d’humeur. Cela arriva après son retour du petit voyage qu’il fit en Italie, à la fin de l’automne. Il est certain qu’à la fin de leur séjour à Paris les deux princes furent moins bien traités. Je ne crois point que Bonaparte eût des inquiétudes sérieuses, mais il ne voulait être le sujet d’aucune plaisanterie. Le prince a sans doute gardé quelque souvenir de l’impératrice, car elle m’a conté que, lors du divorce, l’empereur lui proposa, si elle voulait se remarier, de prendre le prince de Mecklembourg pour époux, et qu’elle s’y refusa. Je ne sais même si elle ne m’a pas dit que le prince avait écrit pour le demander.

Tous les princes, et une foule d’autres moins importans, n’étaient point admis à la table de l’empereur tous les jours. Ils y étaient invités quand il lui plaisait ; les autres soirs, ils dînaient chez les reines, chez les ministres, le grand maréchal, ou la dame d’honneur. Mme de la Rochefoucauld avait un grand appartement où se réunissaient les étrangers. Elle les recevait avec aisance, et on y passait son temps assez agréablement. C’est un singulier spectacle que celui d’une cour. On y voit les plus grands personnages, pris dans les plus hautes classes de la société ; on y suppose à chacun des intérêts sérieux, et cependant le silence, imposé par la prudence et l’usage, y force tout le monde à s’y tenir dans les bornes d’une conversation la plus insignifiante possible, et souvent les princes et les grands, n’osant pas y paraître hommes, consentent à y agir comme des enfans. Cette réflexion se faisait avec plus de force à Fontainebleau qu’ailleurs : tous ces grands étrangers s’y voyaient attirés par la force ; tous, plus ou moins vaincus ou dépossédés, y venaient implorer grâce ou justice. Dans un des coins du château, ils savaient que leur destinée se décidait en silence ; et tous, avec un aspect pareil, affectant de la bonne humeur et une entière liberté d’esprit, ils couraient la chasse, s’abandonnant à tout ce qu’on exigeait d’eux ; et ce qu’on exigeait, faute d’en pouvoir faire autre chose et pour n’avoir ni à les écouter ni à leur répondre, était qu’ils dansassent, qu’ils jouassent au colin-maillard, etc. Combien de fois il m’est arrivé de me voir au piano, chez Mme de la Rochefoucauld, jouant à sa prière des danses italiennes, que la présence de cette jolie Italienne mettait à la model En voyant passer en cercle et danser pêle-mêle devant moi, princes, électeurs, maréchaux ou chambellans, vainqueurs ou vaincus, nobles et bourgeois, enfin tous les quartiers d’Allemagne en pendant des sabres révolutionnaires ou de nos habits chamarrés, illustration plus solide, à cette époque, que celle de tant de vieux parchemins, dont la fumée de nos canons avait presque entièrement effacé les caractères, je faisais, à part moi, souvent d’assez