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nous et le Portugal. Le prince régent de ce royaume[1] ne se prêtait point à ces prohibitions continentales qui fatiguaient les peuples. L’empereur s’emporta ; des notes violentes contre la maison de Bragance parurent dans nos journaux, les ambassadeurs furent rappelés, et notre armée entra en Espagne, pour marcher vers Lisbonne. Ce fut Junot qui en eut le commandement. Un peu plus tard, c’est-à-dire au mois de novembre, le prince régent, voyant qu’il ne pouvait apporter de résistance à une telle invasion, prit le courageux parti d’émigrer de l’Europe et d’aller régner au Brésil. Il s’embarqua le 29 novembre.

Le gouvernement espagnol s’était bien gardé de s’opposer au passage des troupes françaises sur son territoire. Il s’ourdissait alors un nombre considérable d’intrigues entre la cour de Madrid et celle de France. Depuis longtemps, il s’était formé par lettres une correspondance intime entre le prince de la Paix et Murat. Le prince, maître absolu de l’esprit de son roi, ennemi acharné de l’héritier du trône, l’infant Ferdinand, s’était dévoué à Bonaparte et le servait avec zèle. Il promettait sans cesse à Murat de le satisfaire sur tout ce qu’on exigerait de lui, et celui-ci, en réponse, était chargé de lui promettre une couronne, je ne sais quel royaume des Algarves, et un appui solide de notre part. Une foule d’intrigans, soit français, soit espagnols, se mêlait à tout cela. Ils trompaient Bonaparte et Murat sur le véritable esprit de l’Espagne, ils cachaient soigneusement que le prince de la Paix y fût détesté. En ayant gagné ce ministre, on se croyait maître du pays, et on entrait volontairement dans une foule d’erreurs qu’il a fallu, depuis, payer bien cher. M. de Talleyrand n’était pas toujours consulté ou cru sur cet article. Mieux informé que Murat, il entretenait souvent l’empereur du véritable état des choses ; mais on le soupçonnait de jalousie contre Murat. Celui-ci disait que c’était pour lui nuire qu’il doutait des succès dont le prince de la Paix répondait, et Bonaparte se laissa séduire à tant d’intrigues. On a dit que le prince de la Paix avait fait d’énormes présens à Murat ; que celui-ci se flattait qu’après, avoir trompé le ministre espagnol et par son moyen excité la rupture entre le roi d’Espagne et son fils, et enfin amené la révolution qu’on souhaitait, il aurait pour sa récompense le trône d’Espagne. Ébloui par cet avenir, il se gardait bien de douter de tout ce qu’on lui mandait pour flatter sa passion. Il se forma, tout à coup, une conspiration à Madrid contre le roi ; on sut y faire entrer le prince Ferdinand dans les rapports qu’on fit au roi, et, soit qu’elle fût réelle ou bien seulement une malheureuse intrigue contre les jours du jeune prince, elle fut publiée après avoir été découverte avec un

  1. La reine, sa mère, vivait encore, mais elle était folle.