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des dernières années comme la cause principale dés souffrances dont on se plaint.


II

Si, de l’énumération des circonstances physiques qui pèsent sur l’agriculture, nous passons à l’examen des causes économiques, nous constatons tout d’abord qu’il se produit en ce moment dans le mode d’exploitation de la terre une transformation radicale, qui, pour s’opérer insensiblement, n’en exerce pas moins une influence sérieuse sur la situation agricole de notre pays et des pays voisins. Cette transformation s’est manifestée tout d’abord par une hausse considérable dans les salaires des ouvriers ruraux, qui a augmenté dans une forte proportion les frais de culture. Les ouvriers non nourris, qu’on payait 1 fr. 50, demandent aujourd’hui 3 francs en temps ordinaire et jusqu’à 7 francs pendant les moissons ; les ouvriers nourris se paient de 1 fr. 75 à 2 francs au lieu de 1 franc à 1 fr. 25 et sont devenus beaucoup plus exigeans pour leur nourriture. Tandis qu’autrefois ils ne mangeaient de la viande qu’une fois par semaine, ils en réclament aujourd’hui au moins une fois par jour, sans compter le vin ou le cidre, dont il n’était jadis pas question ; Dans les environs de Paris, on a donné dans ces dernières années de 30 à 35 francs par hectare pour faire la moisson, au lieu de 12 à 15 francs qu’on payait autrefois. Le prix de façon du stère de bois en forêt, qui, en 1860, ne dépassait pas 0 fr. 75, est aujourd’hui de 1 fr. 75 à 2 francs, et encore les bûcherons font-ils souvent défaut.

Tous les correspondans de la Société nationale sont d’accord sur ce point, et dans la première partie de cette étude, nous avons eu l’occasion de citer quelques-unes des réponses qu’ils ont adressées. Cette hausse en elle-même n’est pas précisément un mal, car il est naturel que, le bien-être général augmentant, les ouvriers en aient leur part. Quand on se rappelle la maigre pitance dont ils étaient autrefois obligés de se contenter, quand on voit celle dont ils se contentent encore aujourd’hui, c’est se montrer bien dur pour autrui que de leur reprocher leurs exigences ; et quand on sait comment ils vivent, couchant dans des écuries, soumis aux labeurs les plus pénibles, c’est presque une dérision que de parler de leur bien-être. Du reste, améliorer la nourriture de ceux qu’il emploie n’est pas toujours une mauvaise spéculation de la part du cultivateur, puisqu’il augmente par là leur capacité de travail ; et, quoi qu’en disent les admirateurs du temps passé, nous doutons fort que les ouvriers d’aujourd’hui travaillent moins que ceux d’autrefois. Ce qu’on peut leur reprocher à bon droite c’est d’être moins