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LE MARCHESE ARRIGO. — Ah ! le barbare ! l’iconoclaste ! et comme on voit bien que vous n’êtes point

Del bel paese là dove il si suona...[1].

LE POLONAIS. — C’est entendu, il faut être né Italien pour apprécier Pétrarque, comme, à en croire les Français, il faut avoir vu le jour sur les bords de la Seine ou de la Loire pour juger Corneille et Racine, — ce qui, par parenthèse, n’a encore jamais empêché Français ou Italiens de dire leur mot, et très pertinemment, non-seulement sur Shakspeare et Goethe, mais bien aussi sur Homère, Sophocle et Aristophane, sur des poètes en somme qui leur sont certes infiniment plus étrangers que ne saurait jamais l’être de nos jours un Pétrarque ou un Corneille à tout esprit cultivé, de quelque pays qu’il soit. Mais il me sera du moins permis de vous adresser au sujet de l’auteur des Rime la même question que Mme la comtesse a eu le courage de poser à propos de Dante : Prenez-vous donc bien au sérieux la passion de Pétrarque pour Laure ? Je ne parle pas d’un sentiment de jeunesse qui a pu être vif et vrai ; mais le moyen de croire que le chantre de Vaucluse ait brûlé toute sa vie de la même flamme pure et inaltérée pour une respectable matrone mère de onze enfans ! Pétrarque a aimé Laure, comme il a aimé l’Italie, la liberté, Rienzi et tant d’autres belles choses : c’était pour lui prétexte à rimer des vers et limer des phrases. Homme tout autrement habile que ce pauvre et sincère Dante, il a su s’arranger de manière à pleurer sur l’oppression de l’Italie sans rompre avec les divers tyranneaux qui la pressuraient, à tonner contre la corruption de la papauté, « la Babylone de l’Occident, » sans perdre les grasses prébendes de la cour d’Avignon, et à faire l’admiration du monde chrétien par son amour constant pour une femme mariée, tout en étant prêtre ordonné, chanoine de Lombez et père aussi à l’occasion de plusieurs bâtards issus de quelque maîtresse innomée.

Oh ! que les érudits sont parfois féroces dans leur idolâtrie et qu’ils ont notamment fait du tort à leur Pétrarque adoré, en publiant certains documens où nous pouvons suivre les origines curieuses de ses enfans naturels, les origines bien plus curieuses encore de ses enfans spirituels, de ces Rime tant travaillés, tant ouvragés, tant polis et repolis ! Tenez, je vois là précisément sur les rayons le livre bien rare maintenant d’Ubaldini[2] ainsi que

  1. Inf., XXXIII, 80.
  2. Le Rime di M. Francesco Petrarca, estratti da un suo originale. Rome, MDCXLII. — Ugo Foscolo, Saggi sopra il Petrarca. Tous les deux donnent les extraits d’après les manuscrits de Pétraque qui sont conservés à la bibliothèque du Vatican.