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On venait de Paris, de Marseille, de Lille, pour les voir à l’œuvre. Richelieu, voulant faire cesser ce désordre, envoya à Loudun M. de Laubardemont, comme commissaire royal, avec pleins pouvoirs (novembre 1633). Les historiens et les poètes ont été sévères pour Laubardemont, et l’ont accusé de poursuivre Grandier par animosité personnelle. Ils le représentent comme un sinistre bourreau. Il est possible que cette légende ne soit pas tout à fait conforme à l’histoire, et je m’imaginerais volontiers que Laubardemont, comme de Lancre, Boguet, Bodin, comme tous les grands juges et commissaires des parlemens, croyait à la possession démoniaque et à la sorcellerie de Grandier. Dans ce lamentable procès, si injuste, il semble que tout le monde a été de bonne foi, Grandier en niant, Mignon, Barré et Laubardemont en affirmant, les ursulines en accusant dans leur délire les maléfices de Grandier.

Celles-là surtout étaient de bonne foi. Quelques pamphlétaires protestans du XVIIIe siècle, et quelques historiens du XIXe siècle ont imaginé je ne sais quelle comédie jouée de concert par les ursulines, Laubardemont et Richelieu pour perdre un prêtre libre penseur. C’est du roman. La vérité est que les ursulines furent terriblement et follement sincères. Leur maladie n’était pas simulée, mais réelle, tout aussi réelle que celle des folles que l’on enferme.

Voyons en effet quels symptômes elles présentent. « Au jour de l’exorcisme, la supérieure passa dans la chapelle, voulant frapper les assistans, et faisant de grands efforts pour outrager le père même (le père Surin). Au chant des hymnes, le diable commença à se tordre, et en se vautrant et en se roulant, il conduisit son corps (le corps de Jeanne de Belciel) jusqu’au bout de la chapelle, où il tira une grosse langue bien noire, et lécha le pavé avec des trémoussemens, des hurlemens et des contorsions à faire horreur. Il fit encore la même chose auprès de l’autel, après quoi il se releva de terre, et demeura à genoux avec un visage plein de fierté, faisant mine de ne vouloir pas passer outre ; mais l’exorciste, avec le saint sacrement en mains, lui ayant commandé de le satisfaire de parole, ce visage changeait devint hideux, et la tête se pliant en arrière, on entendit prononcer d’une voix forte tirée du fond de la poitrine : « Reine du ciel et de la terre, pardon. » Les autres religieuses ont des accès analogues. « Étant renversées en arrière, la tête leur venoit aux talons, et elles marchoient ainsi avec une vitesse surprenante et fort longtemps. J’en vis une qui, étant relevée, se frappoit la poitrine et les épaules avec sa tête, mais d’une si grande vitesse et si rudement qu’il n’y a au monde personne, pour agile qu’il soit, qui puisse rien faire qui en approche. Quant à leurs cris, c’étoient des hurlemens de damnés, de loups enragés, de bêtes horribles. On