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Jeanne de Belciel. Le malheureux exorciste, au moment où il commandait au démon de sortir, l’a vu disparaître du visage de la possédée et s’attaquer à lui. Le père Tranquille mourut en 1638. Voici ce qu’on grava sur sa tombe : « Ci gît l’humble père Tranquille, de Saint-Rémi, prédicateur capucin. Les démons, ne pouvant plus supporter son courage en son emploi d’exorciste, l’ont fait mourir par leurs vexations. » Mannoury le chirurgien vit, un soir, le spectre de Grandier lui apparaître, et il mourut quelques jours après. Il ne faut pas assigner à ces maladies quelque cause mystérieuse. La mort dramatique de Grandier avait été un événement terrible. Dans ces imaginations troublées, et ces consciences, nous le croyons, honnêtes et sincères, la lutte entre l’esprit nouveau et la crédulité ancienne a bien pu ébranler les fondemens de la saine intelligence et de la froide raison.

Le fait est que les convulsions étranges provoquées par les diables de Loudun ne cessèrent pas quand le sorcier fut brûlé. L’hystérie ne se dissipe pas aussi facilement que la fumée d’un bûcher, et on n’a pas encore prouvé que pour guérir des convulsions il suffise de sacrifier un innocent. Donc les ursulines continuèrent à délirer. La contagion gagna les séculières de la ville. Dans une ville voisine, parmi les dames et les demoiselles de la bourgeoisie, à Chinon, il y eut aussi des attaques démoniaques. Ce même Barré, qui avait d’abord exorcisé les religieuses de Loudun, pratiqua de nombreux exorcismes ; « il auroit exorcisé des pierres. » Les diables des bourgeoises de Chinon désignèrent leurs princes : un certain curé nommé Santerre, puis un autre nommé Giloire. Les deux prêtres eurent fort peur. Cette peur était bien naturelle, car les exemples de Gaufridi et de Grandier n’avaient rien d’encourageant. Ils eurent recours à leurs supérieurs, à l’évêque de Tours, à l’archevêque de Paris, qui intercédèrent ; auprès de Richelieu. Les énergumènes furent mises dans une prison, où elles étaient tous les jours traitées « de la bonne manière. » Quant à Barré, il fut interdit et exilé (1640). Depuis deux ans déjà, à Loudun, les diables avaient cessé leurs contorsions, Richelieu ayant fait supprimer la pension de 4,000 livres qu’on allouait au couvent.

L’histoire des diables de Louviers est plus obscure que celle des diables de Loudun. Quoiqu’un innocent ait été brûlé, on s’en est fort peu inquiété. Les historiens, après s’être apitoyés sur Grandier, n’ont pas trouvé un mot de compassion pour le pauvre prêtre Boullé, qui périt sur le bûcher, accusé par une hystérique complètement folle. Michelet, dans le récit qu’il nous donne de cette histoire, montre une légèreté déplorable, et on peut dire qu’il n’en a pas compris la véritable signification.