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Dans le couvent de Saint-François, à Louviers, l’année même où Urbain Grandier mourait sur le bûcher, des religieuses se sentirent possédées par des diables. Nous savons ce que signifie cette possession. « Ces quinze filles, dit un des témoins oculaires[1], se pâment et s’évanouissent durant les exorcismes, en telle sorte que leur pâmoison commence lorsqu’elles ont le visage le plus enflammé. Pendant cet évanouissement, qui dure quelquefois demi-heure et plus, l’on ne peut remarquer ni de l’œil ni de la main aucune respiration en elles, et elles reviennent d’une façon merveilleuse en remuant premièrement l’orteil, puis le pied, puis la jambe, puis la cuisse, puis le ventre, puis la poitrine et puis la gorge, le visage demeurant cependant interdit de tous ses sens, lesquels enfin il reprend tout à coup en grimaçant, et la religieuse hurlant et retournant en ses violentes agitations et précédentes contorsions. » — « Dagon (le diable qui possédait la sœur Marie du Saint-Esprit) fut quatre bonnes heures, nous dit le père Esprit de Bosroger, dans la plus grande rébellion qu’on puisse imaginer, pour empêcher la fille de communier, et pendant tout ce temps-là il lui fit souffrir d’étranges contorsions, la jeta par terre plusieurs fois, lui fit faire cent bonds, cent courses autour de l’église, la fit pousser, choquer et renverser le monde, s’élancer et sauter sur les autels, tâcher à tout rompre, dire cent paroles d’insolence, demander à tout le peuple des adorations, mépriser Dieu avec des bravades et des rages insensées. Enfin il lui fit dire cent blasphèmes horribles, le refrain ordinaire du démon. Pendant cette rage, les exorcistes, voyant ce Dagon sur le grand autel, l’interpellèrent par des prières. Comme si ce démon eût été frappé d’un coup de foudre, il tomba par terre jusque contre le balustre, sur la face, à plus de quatre ou cinq pas de l’autel. »

Chaque religieuse tourmentée avait son démon. « La sœur Marie du Sainct-Sacrement, fille du président de l’élection du Pont-de-l’Arche, est possédée par Putifar, le démon de Picard ;

« Sœur Marie du St-Esprit, par Dagon, démon de Magdeleine Bavent ;

« Sœur Anne de la Nativité, novice, par Léviathan ;

« Sœur Barbe de Sainct-Michel, par Ancitif ;

« Sœur Louise de Pinteville, fille du procureur général de la cour des aydes, de Normandie, par Arfaxat ;

« Sœur Anne de Sainct-Augustin, tourmentée de Gonsague ;

« Sœur Marie Chéron, possédée de Grongade ;

« Sœur Marie de Jésus, possédée par Phaéton ;

  1. J. Lebreton, théologien, la Défense de la vérité touchant la possession des religieuses de Louviers ; Évreux, 1643, in-4o.