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ces marécages pestilentiels qui ont désolé le pays pendant toute la période du moyen âge et ont été Tune des causes principales de sa ruine et de son abandon.

Toutefois, malgré leur insalubrité, ces marécages ont fait et font encore la fortune de toute la zone littorale. A mesure que la profondeur des étangs diminuait, l’homme prenait possession du sol nouvellement émergé, conservait dans ces cuvettes naturelles, horizontales, peu profondes et échauffées par le soleil ardent du Midi, les eaux marines sursaturées de sel, et créait ainsi sur le territoire d’Aigues-Mortes les plus riches salines de la région méditerranéenne.


III

Les salines d’Aigues-Mortes sont certainement les plus anciennes de la Gaule. Presque toutes les exploitations de sel de la France datent d’une époque relativement moderne : celles de l’ouest ont à peine quatre cents ans d’existence ; celles de la Bretagne n’existent que depuis le XVIIe siècle. L’origine des salines du littoral de la Méditerranée, et en particulier de celles qui se trouvent sur la rive droite du petit Rhône, dans la région d’Aigues-Mortes, que l’on désigne depuis le moyen âge sous le nom de « salines de Peccais, » se perd dans la nuit des temps ; et, bien qu’on ne possède aucun document qui permette d’affirmer que les Phéniciens et les Grecs les aient exploitées, il est très probable qu’aux embouchures du Rhône, comme à celles du Tibre, on a connu de très bonne heure tout le parti que l’on pouvait retirer de ces grandes surfaces horizontales, où l’évaporation naturelle dépose et met presque sans frais à la disposition de l’homme une couche de sel cristallisé de plusieurs centimètres d’épaisseur. Les salines de Peccais paraissent donc avoir existé au moins à l’état rudimentaire à la même époque que celles d’Ostie, qui étaient en pleine exploitation avant l’organisation de la république et constituaient déjà, sous Ancus Martius, quatrième roi de Rome, une ferme importante dont les revenus étaient très productifs. En Gaule comme en Italie, l’homme a donc de très bonne heure favorisé et perfectionné le travail si bien commencé par la nature.

Pline, en parlant des Gaulois de la côte ligurienne, raconte qu’ils avaient, depuis un temps immémorial, l’habitude de jeter de l’eau salée sur des braises ardentes et que le charbon se transformait ainsi en sel. L’alchimiste G. Agricola ajoute que ce sel était noir ; et il semble résulter de ces deux témoignages que les premiers habitans de la zone maritime avaient recours à l’évaporation artificielle, quelque compliquée que nous paraisse cette méthode dans un pays où l’on a gratuitement le soleil à sa disposition. Leurs